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11 novembre, 2013

EtANT DONNES : 1) ALAIN BOTON, 2) « MARCEL DUCHAMP PAR LUI-MEME (OU PRESQUE) », Fage, 2013.

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Alain Boton, Marcel Duchamp par lui-même (ou presque), Editions Fage, 2013 

Le Nu descendant l’escalier refusé au Salon des Indépendants en 1912 – naguère le nu académique « figé par excellence » était le symbole de la peinture ancienne – s’anime et se met à descendre de son piédestal pour aller à la rencontre de son double virtuel (alias son « renvoi miroirique ») Fontaine, objet lui-même refusé à l’exposition de l’Armory Show en 1917.

EtANT DONNES : 1) ALAIN BOTON, 2)

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici même dans mon Hommage à M. D., Boîte-en-catalogue, Le Mille et unième Item, 1912- 2012, pour le centième anniversaire de la non-exposition du célèbre tableau (page du 12/01/2012), cinq ans séparent ces deux « performances artistiques » confidentielles à l’époque mais par ailleurs unies dans le refus et l’opposition unanimes qu’elles déchaînent à leur encontre dans le milieu même de l’ART. Deux performances « négatives » unies et complices et lourdes et grosses de tous les développements de l’œuvre à venir, y compris et surtout de l’installation finale d’Etant donnés…, couronnement posthume « machiné » en secret par son auteur pour que nous ayons une vision rétroactive (et cohérente) de tout son parcours humoristique, intellectuel, spirituel, conceptuel et anartiste. Ces deux moins vont logiquement donner le plus à venir, la gloire définitive. Cette vision rétroactive, c’est M. D. lui-même qui nous y invite, comme le montre d’une manière étonnante, tant tous les éléments concordent, Alain Boton.

Car de 1912 à 1917, tout est déjà là, tout se met en place ; virtuellement tout fait, tout est fait ; la vie elle-même de M. D. sera sa troisième performance grandeur nature (et toujours controversée) aboutissant à la mise en place de l’installation secrète d’Etant donnés… , dans l’attente du grand dévoilement qui nous atteindra tous, pour peu que nous acceptions la démarche proposée par l’auteur de Marcel Duchamp par lui-même (ou presque). La résolution de l’énigme sera menée à son terme, mais sans la présence de son brillant concepteur, ultime pirouette et cacahuète lancée en direction des historiens et des tenants de l’ART majuscule.

Je viens de terminer une première lecture du livre fondateur d’A. B. qui va, je le crois, bousculer beaucoup d’auteurs et de lecteurs. Les « académiques » comme les simples regardeurs (dont je suis). Mais les trésors d’analyses, de réflexions et d’hypothèses produits par tous les exégètes officiels ou non – J. Clair, M. Décimo, D. Judovitz, A. Schwarz et bien d’autres – ne sont pas pour autant devenus du plomb. Ils restent le lest obligé de toutes les grandes études qui ont été conduites jusqu’à ce jour dans la perspective d’élucider le cas « hors norme » de l’aventure de M. D. que nous n’avons pas encore fini de découvrir même et peut-être surtout après la lecture du livre d’A. B. présenté comme un manuel, un mode d’emploi à l’usage des anciens regardeurs et des nouveaux découvreurs de l’œuvre sans égale. Je n’ai pas encore terminé ma seconde lecture, mais je pense néanmoins qu’il faut immédiatement faire connaître ce nouveau livre, quitte à revenir sur mes premières impressions et intuitions, les corriger ou les compléter.

Le livre se divise en deux parties dont la première s’intitule L’épanouissement en mise à nu par les célibataires, « la mystification du monde de l’art par Duchamp et son urinoir’ » (A. B.), où l’auteur montre comment le Grand Verre est une machine visant à faire passer un objet commun dans le monde de l’art : « Il suffit de combler le vide du Grand Verre… en bas à droite, par l’urinoir, pour qu’enfin la machinerie érotique se mette à fonctionner… Le Grand Verre ne devient compréhensible que grâce à l’urinoir ; et l’urinoir prend une autre dimension grâce au Grand Verre » (p. 6). « La transsubstantiation de cet objet utilitaire [l'urinoir] en œuvre d’art, représentée par sa transformation en cette sculpture de gouttes, le mannequin féminin, que l’on voit en 1969 [dans l’installation posthume de Philadelphie Etant donnés…], se nomme le « renvoi miroirique » (p. 28).

La seconde partie, Epanouissement en mise à nu imaginative de la mariée désirante est « l’exposition par Duchamp de ses expériences extatiques » (A. B.) dont le fondement est vraisemblablement l’expérience d’une « EMI », une Expérience de Mort Imminente telle qu’elle est décrite aujourd’hui par les médecins. Ces deux parties proposent une explication et une synthèse originales, complètes, denses mais cohérentes, de la démarche et de l’œuvre (matérielle et intellectuelle) de M. D. qui ont toujours semblé si provocatrices, protéiformes et absconses, trop « dadaïstes » en quelque sorte pour qu’on puisse un jour tirer quelque chose de « sensé » de ces tranquilles coups de force doublés de notes à peine plus compréhensibles qui s’éclairent pourtant aujourd’hui.

*

La lecture de ce livre a attiré mon attention sur le catalogue des œuvres de M. D. donné par A. Schwarz (Ready-mades, etc… (1913-1964), Le Terrain Vague, 1964), ouvrage dont on sait qu’il a été mis en page par M. D. lui-même et son galeriste comme cela est signifié au verso de la page de titre. Comme le montre bien A. B., tout ce que fait M. D. doit être regardé de près car tout prend sa place dans la toile d’araignée tissée par lui  jusqu’au dévoilement de l’œuvre posthume. Je ne sais pas si A. B. a eu ce livre entre ses mains, car il faut vraiment l’avoir entre les mains pour s’apercevoir que le dispositif abstrait de « la pendule de profil » mis au jour par A. B. (cf. le croquis p. 27 de son livre) se trouve réalisé, matérialisé et ainsi déjà dévoilé par la réalisation et l’iconographie du livre publié en 1964, soit quatre ans avant la mort de M. D., mais personne ne l’avait encore vu à ce jour.

Une jaquette illustrée recouvre le livre : sur le plat supérieur figure la reproduction de l’Obligation pour la roulette de Monte-Carlo (1924) représentant dans un médaillon la tête de Duchamp couverte de savon à barbe (dans la partie supérieure). Sur le plat inférieur de la même jaquette (en haut) figure A la manière de Delvaux (1942) où un buste de femme nue apparaît dans un miroir, le tout vu à travers une lunette.

1) L’Obligation qui se présente verticalement et figure un grand tapis vert de casino signifie le Grand Verre. Si vous retournez le livre, la reproduction de A la manière de Delvaux ne peut pas ne pas représenter ce qui apparaît à la vue dans l’œilleton de la porte de l’installation de Philadelphie Etant donnés… Dans la disposition et la relation matérielle des deux images, nous avons là mis en œuvre concrètement le dispositif abstrait mis au jour par A. B., dispositif qu’il nomme « la pendule de profil » du nom du pliage de M. D. (1964), pliage réalisé pour le livre de son ami Robert Lebel intitulé La Double Vue (!). Le tableau auquel fait référence M. D. pour A la manière de Delvaux s’appelle opportunément l’Aurore (1937) :  Etant donnés… que M. D. voulait que l’on voie après sa mort est marqué du signe de l’aurore. Le souhait ne manque pas d’ironie. Et que voulait-il que l’on voie aujourd’hui  ? : la reproduction de Fontaine spécialement conçue pour le plat supérieur de la reliure du livre, reproduction intitulée précisément pour cette occasion « renvoi miroirique » et se trouvant juste au-dessous de la jaquette. Tout concorde.

2) Mais il y a plus et cela vérifie matériellement encore – si c’était nécessaire – l’hypothèse que Alain Boton avance, même s’il s’appuie déjà sur des éléments vérifiables, autrement dit le titre (pour Fontaine), et la nature même de l’œuvre (pour A la manière de Delvaux). A. B. dit dans son livre (p. 56-57) à propos de cette version de Fontaine et du montage A la manière de Delvaux : « Si l’on juxtapose mentalement [c'est moi qui souligne] les deux images en superposant ce qu’elles ont de commun, en l’occurrence le fait d’être toutes les deux un « renvoi miroirique », on obtient un ensemble urinoir/renvoi miroirique/buste féminin. Nous sommes alors bien devant ce fameux système Wilson/Lincoln, à gauche l’urinoir, à droite le buste féminin. Le tout rassemblé par la notification dans les deux cas d’un « renvoi miroirique » : dans l’un, c’est une notification plastique (le miroir), dans l’autre, littéraire (le titre Renvoi miroirique) ». (Le système Wilson/Lincoln « est un petit procédé où deux images sont imprimées sur un papier plié en soufflet d’accordéon… de telle sorte que si l’on regarde de gauche à droite on voit le portrait du président Wilson, et si l’on regarde de droite à gauche, on voit le portrait du président Lincoln » (p. 56).

Si je me reporte maintenant à l’avant-dernière page du catalogue Duchamp, p. 67, que voit-on : le fac-similé d’une page reproduisant quatre photos d’œuvres de M. D. (Editions Trianon, 1959), fac-similé composé par M. D. lui-même. Les quatre images reproduites sont, de gauche à droite, en haut : A la manière de Delvaux et une représentation des « Neuf Tirés ou Trous », en bas : View (1945) et George Washington (Allégorie de genre) (1943). Rappel. A. B. : « Il suffit de combler le vide du Grand Verre… en bas à droite, par l’urinoir, pour qu’enfin la machinerie érotique se mette à fonctionner… Le Grand Verre ne devient compréhensible que grâce à l’urinoir ; et l’urinoir prend une autre dimension grâce au Grand Verre » (p. 6). La disposition de ces quatre clichés imite de manière explicite la disposition du Grand Verre et ce que l’on peut voir ici en bas à droite est précisément, matériellement, l’Allégorie de genre à l’effet Wilson/Lincoln avancé supra par A. B. pour sa démonstration où de fait l’urinoir vient maintenant se superposer, en renvoyant aussi à A la manière de Delvaux alias Etant donnés..., CQFD… Cette page du catalogue Duchamp apporte vraisemblablement la dernière preuve concrète à l’appui de la démonstration d’Alain Boton.

En effet, ce catalogue de la grande exposition rétrospective de l’œuvre de M. D. donnée par son galeriste en 1964 apparaît véritablement comme une somme et peut-être même comme le testament de M. D. qui profite de l’occasion pour « finaliser » en quelque sorte son projet. On ne peut pas ne pas se poser cette question quand on voit comment le volume fut construit et l’iconographie choisie et disposée.

On pourrait à juste titre poursuivre la démonstration en commentant le médaillon au portrait original de M. D. sur l’Obligation – image correspondant à A la manière de Delvaux à la fin du catalogue, mais cela nous entrainerait trop loin. Je renvoie (entre autres) à l’ouvrage de D. Judovitz (Déplier Duchamp : passages de l’art, P. U. du Septentrion, 2000) p. 165-172, pour signaler que la simple évocation du pari que l’artiste tire sur l’avenir nous suffit ici. Cet anartiste – ce sage, comme l’appelle Alain Boton – l’a gagné depuis longtemps.

Je possède un exemplaire de la Double Vue de Robert Lebel avec un envoi manuscrit de ce dernier : « A Jenny Linz ce livre enfin, vrai sans blanc (ni faux semblant) Robert Lebel ». Je me prends à rêver qu’il en est de même pour l’œuvre de Marcel Duchamp dont Robert Lebel fut le premier biographe. A la lecture du livre d’Alain Boton, et contrairement à ce que l’on aurait pu penser encore il y a peu, l’œuvre de Marcel Duchamp apparaît  aujourd’hui  « vrai[e] sans blanc », une œuvre dont la « vérité » va s’imposer sans zone « blanche »  susceptible d’échapper à une explication aussi cohérente que rationnelle. Tout le reste relève de l’art de la mise en scène, pour lui comme pour nous.

A. C.

 

 

 

28 septembre, 2013

Du bon usage de « Mein Kampf » d’A. Hitler à Londres en septembre 1939.

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DU BON USAGE DE MEIN KAMPF D’A. HITLER  A LONDRES EN SEPTEMBRE 1939

Du bon usage de

«  Pour remplacer les sacs de sable destinés à protéger les monuments de Londres contre les bombardements, les Anglais ont eu une idée originale :ils emploient les nombreux exemplaires de « Mein Kampf » recueillis chez les libraires de la capitale ».

Cette photo surprenante et sa légende sont extraites du numéro de Match du 7 septembre 1939 consacré au début de la seconde guerre mondiale (p. 13) :

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Bien qu’il s’agisse d’une image de propagande, c’était certainement le meilleur usage que que l’on pouvait faire à cette époque de ce texte fondateur de la barbarie nazie. Le cynique promoteur des autodafés de livres interdits n’imaginait certainement pas que le procédé allait se retourner contre lui.

La protection matérielle que ces volumes ont pu apporter aux bâtiments anglais face aux bombes allemandes qui vont commencer à déferler un an plus tard lors du « blitz » (la guerre éclair) –  à partir du 7 septembre 1940 jusqu’au 21 mai 1941 – a dû être mince.

Quoi qu’il en soit, détruits en première ligne dès le début des bombardements meurtriers, ces faibles boucliers de papier et leur destin annoncent de façon hautement symbolique le propre destin suicidaire de l’Allemagne nazie.

 

17 mars, 2013

Le sublime selon Rilke et Marie Laurencin, 1946.

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Le sublime selon R. M. Rilke.

Le sublime selon Rilke et Marie Laurencin, 1946. rilkes2

Poésies françaises de Rainer Maria Rilke, avec des vignettes de Jacques Ernotte

Emile-Paul Frères, 1946.

 *

Le sublime est un départ.

Quelque chose de nous qui au lieu

de nous suivre, prend son écart

et s’habitue aux cieux.

 

La rencontre extrême de l’art

n’est-ce point l’adieu le plus doux ?

Et la musique : ce dernier regard

que nous jetons nous-mêmes vers nous ?

***

Marie Laurencin .  Jeune fille à la guitare (1946). 

Laurencin 1946

Bien que subtile, la composition de cette eau-forte est peut-être moins énigmatique qu’il n’y paraît. A l’image de l’ange musicien est associée celle d’un « Bouddha féminin » prenant la terre à témoin de son Illumination. Mais la musicienne ne désigne-t-elle pas, en même temps, de la main gauche, la rosace de la guitare déposée précisément entre ses jambes ? Dans une posture inhabituelle, c’est tout le mythe de la « rose  », présente ou cachée, réelle, symbolique ou mystique qu’elle fait affleurer devant nous.

Rencontre extrême de l’art où l’invention alliée à la beauté des lignes et à la délicatesse de l’expression renvoie « l’Esprit du mal » à sa propre confusion. L’homme et la femme ont bien pour seul instrument leur corps – matière et médium – où amour et spiritualité ouvrent chacun à leur façon les portes de l’être et de son espace intérieur avant de basculer, avec l’Eveil, sur l’autre versant.  

22 janvier, 2013

R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie.

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 LOUISE LABE / RAINER MARIA RILKE, 1942

  R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie. labe2-0011

Die vierundzwanzig Sonette der Louïze Labé, Lyoneserin, 1555,

Ubertragen von Rainer Maria Rilke, Im Insel-Verlag Zu Leipzig, 1942, 18, 5 cm.

 

Les 24 sonnets de la poétesse lyonnaise Louise Labé (v. 1524 – 1566)  traduits en allemand par le grand poète d’origine autrichienne Rilke (1875 – 1926) ont été édités pour la première fois en 1917 chez le même éditeur. Il peut sembler « réconfortant » de voir qu’un éditeur allemand ait pu livrer un recueil de poésie au beau milieu de la première boucherie mondiale, comme s’il pouvait, à lui seul, faire un léger contrepoids à la barbarie humaine. Il est tout aussi « désolant » de dire l’inverse, et de constater que la plus haute culture, une fois de plus, n’a rien pu empêcher…

Il en est de même en 1942, et plus tragiquement encore, si l’on peut dire,  à propos de cette jolie plaquette imprimée sur beau papier. L’Europe est à nouveau à feu et à sang, les camps d’extermination des juifs fonctionnent, la Russie est envahie par les hordes nazies, et il se trouve encore en Allemagne des lecteurs susceptibles de lire des poèmes d’amour français du XVIe siècle traduits en allemand par un autre poète qui fut l’honneur de la langue germanique.

Culture et barbarie / Barbature et culturie.

 ***

Sonnet XVIII

Baise m’encor, rebaise moy et baise :

Donne m’en un de tes plus savoureus,

Donne m’en un de tes plus amoureus :

Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.

 

Las, te pleins tu ? ça que ce mal j’apaise,

En t’en donnant dix autres doucereus.

Ainsi meslans nos baisers tant heureus

Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.

 

Lors double vie à chacun en suivra.

Chacun en soy et son ami vivra.

Permets m’Amour penser quelque folie :

 

Tousjours suis mal, vivant discrettement,

Et ne me puis donner contentement,

Si hors de moy ne fay quelque saillie.

 

 

18 novembre, 2012

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946

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Marcel Duchamp traducteur d’Eugène Znosko-Borovsky.

Du jeu [d’échecs] intellectuel « s’exprimant en œuvres d’art ».

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946 zb-0014

Troisième édition, 1946 (19 cm).

Ce classique de la littérature échiquéenne fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

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Du jeu d’échecs « s’exprimant en œuvres d’art »

Eugène Znosko-Borovsky, Comment il faut commencer une partie d’échecs . Troisième édition revue et augmentée. Version française de Marcel Duchamp. Lille, Yves Demailly Editeur, 1946 (Les « Comment » de l’échiquier n° 2).

Ce classique de la littérature échiquéenne d’Eugène Znosko-Borovsky fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

Dans l’introduction, page 7, nous pouvons lire :

« Le jeu mécanique d’hier fait place au jeu des valeurs : les cases, les pièces varient dans leur importance. Tout se met en mouvement, le côté matérialiste du jeu est dominé par l’esprit… Il en est de même des coups : celui qui ne fait pas partie d’une suite doit être un coup faible ; un coup en apparence faible devient fort s’il prélude à une suite de manoeuvres qui le justifient. Les échecs en arrivent ainsi à perdre tout caractère mécanique ; l’idée domine ; le jeu intelligent est devenu un jeu intellectuel s’exprimant en oeuvres d’art.

C’est pour vous initier à ce nouvel art que je vais maintenant vous expliquer les divers débuts. N’est-ce pas là en effet le plus difficile, comme le sont les premières notes de musique ou les premières leçons de dessin ? ».

C’est nous qui avons souligné la phrase en italique. Quand on connaît les propos de M. D. sur la nature « artistique » du jeu d’échecs, nous devons nous poser la question de savoir si M. D. s’est « seulement » inspiré de notions dont Z.-B. fut « l’inventeur », ou qui plutôt avaient déjà cours dans le monde des échecs à l’époque - notions alors normalement ici reproduites par l’auteur dans son texte, ou si nous avons affaire à une « adaptation » propre au traducteur qui enrichit ainsi notablement le sujet et la façon d’appréhender ce jeu.

Hubert Damisch, en 1977, au Colloque de Cerisy sur M. D., relève bien dans sa communication que M. D. a traduit et publié le texte de Z.-B. « dans une version française qui lui doit certainement beaucoup de son style », mais il ne parle pas du problème que nous soulevons. (« La défense Duchamp », in Marcel Duchamp : tradition de la rupture ou rupture de la tradition ?, Dir. J. Clair, 10/18,UGE, 1979)).

Dans l’ouvrage Marcel Duchamp Artist of the Century (R. Kuenzoli , F. M. Naumann éd., MIT Press, 1996, 4e éd.) l’ouvrage de Z.-B. est cité de la façon suivante , plus directe : « Original french version rewritten by Duchamp (Paris, Cahiers de l’échiquier français, 1933 (3e éd. 1946) ». La réécriture est clairement nommée.

Rappelons enfin que Alexandre Alekhine (1892-1946), dont Marcel Duchamp fut proche, avait lui-même déclaré : « Un maître d’échecs remarquable et talentueux n’a pas seulement le droit, mais aussi le devoir de se considérer comme  un artiste » (www.europe-echecs.com/art).

 

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

Ces quelques lignes non citées dans les principaux ouvrages sur M. D., sauf erreur ou omission de notre part – sont à mettre en regard de la déclaration devenue célèbre de M. D. lors d’un banquet de l’Association d’Echecs de l’Etat de New York en août 1952 (où nous retrouvons aussi par ailleurs les thèmes du dessin et de la musique) :

« Objectivement, une partie d’échecs ressemble beaucoup à un dessin à la plume, avec cette différence que le joueur d’échecs peint avec les formes blanches et noires déjà prêtes [allusion au readymade…], au lieu d’inventer des formes comme le fait l’artiste. Le dessin ainsi élaboré sur l’échiquier n’a apparemment pas de valeur esthétique visuelle, et ressemble d’avantage à une partition de musique, qui peut être jouée et rejouée. Dans les échecs la beauté n’est pas une expérience visuelle comme en peinture. C’est une beauté plus proche de celle qu’offre la poésie ; les pièces d’échecs sont l’alphabet majuscule qui donne forme aux pensées ; et ces pensées, bien qu’elles composent un dessin visuel sur l’échiquier, expriment leur beauté abstraitement, comme un poème. En fait, je crois que tout joueur d’échecs connaît deux plaisirs esthétiques mélangés : l’image abstraite apparentée à l’écriture, et le plaisir sensuel de l’exécution idéographique de cette image sur l’échiquier. Mes contacts étroits avec les artistes et les joueurs d’échecs m’ont induit à conclure que, si tous les artistes ne sont pas des joueurs d’échecs, tous les joueurs d’échecs sont des artistes. » (Cité dans : A. Schwarz, Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu chez Marcel Duchamp, même, Ed. G. Fall, 1974, p.

Il est intéressant de signaler aussi , par rapport à l’image de la musique évoquée par M. D. lors de cette déclaration de 1952, ces passages extraits du roman de Vladimir Nabokov,  La défense Loujine,  publié en russe en 1930, traduit en français en 1934  (texte contemporain de la traduction-adaptation de M. D.) :

« Quel jeu, quel jeu ! dit le violoniste, en refermant soigneusement le coffret [d’un jeu d’échecs]. Des combinaisons pareilles à des mélodies. Je crois entendre pour ainsi dire la musique des coups… – A mon avis, pour jouer aux échecs, il faut être doué pour les mathématiques, dit Loujine père, et moi, ce n’est pas mon fort… On vous attend, maître  »    ( Edition Folio, 2013, p. 49).

[---]

« Turati se décida enfin – et aussitôt une sorte de tempête polyphonique se déchaîna sur l’échiquier. Loujine y cherchait avec opiniâtreté la petite note dont il avait besoin pour en tirer, à son tour, en l’amplifiant, un tonnerre d’harmonies. Maintenant l’échiquier respirait la vie, tout y était concentré sur un point déterminé, tout s’y resserrait de plus en plus ; la disparition de deux pièces apporta une accalmie passagère, puis éclata un nouvel agitato » (p. 153).

De 1934 à 1952, Marcel Duchamp n’a pas pu ne pas prendre connaissance du roman de Nabokov. Mais il a peut-être profité aussi d’une autre façon de la lecture de ce roman. Peut-être lui a-t-elle directement inspiré l’idée de la création du « Jeu d’échecs de voyage », ready-made rectifié (1943-1944). En effet, ce jeu apparaît vers la fin du roman de Nabokov :

« Ce n’était pas un calepin, mais un petit échiquier pliant en maroquin.  Loujine se souvint aussitôt que cet objet lui avait été offert dans un club parisien – tous les participants au tournoi en avaient reçu un semblable, à titre de publicité ou peut-être en souvenir. Sur les côtés de l’échiquier il y avait, dans des cases, de petites pièces de celluloïd pareilles à des onglets, dont chacune représentait une figurine. Elles étaient placées de telle façon que la partie pointue de chacune s’insérait dans une petite fente sur le bord extérieur de chaque case, tandis que la partie arrondie, représentant une figurine, s’appliquait contre la case. Tout cela – le petit échiquier blanc et rouge et les jolis onglets en celluloïd – était élégant et soigné ; et il y avait encore, sur le bord horizontal de l’échiquier, des lettres imprimées en or et, sur le bord vertical, des chiffres également dorés… » (p. 239-240).

La description correspond parfaitement au ready-made de Duchamp. La rectification a consisté à remplacer sur l’objet manufacturé les pièces originales par ses propres pièces imprimées sur celluloïd (Voir : « L’échiquier de Marcel Duchamp », patrimoine-echecs.tpgbesancon.com) ; ou F. N.M. Naumann, Marcel Duchamp, L’art à l’ère de la reproduction mécanisée, Hazan, 1999, p. 158). Il est curieux de voir que la source vraisemblable de l’idée de cet objet rectifié n’ait pas été avancée dans la somme si érudite de Naumann.

*

A l’origine simulation « ludique » de « l’art de la guerre », le jeu d’échecs acquiert peu à peu à son profit le prestige accordé à un « art » à part entière. Le rapprochement avec la partition musicale existait aussi à l’époque de la déclaration d’Alekhine (cf. le roman de Nabokov). Marcel Duchamp a donc su exploiter de la façon que l’on sait des idées, des notions qui avaient déjà cours dans le monde des échecs et même dans le domaine littéraire. C’est bien la pensée singulière et le parcours  iconoclaste de Duchamp « artiste » et grand joueur d’échecs qui ont donné à ces notions la force et la résonance qu’elles ne pouvaient pas manquer d’avoir dans le profond bouleversement qu’il a lui-même provoqué au début du XXe siècle au sujet de la définition même de « l’Art ».

***

 

Le Grand Rêve

 

Roi et Reine conjugués

Les deux figures natives

 De l’unité retrouvée

*

Les deux figures actives

A l’essence retournées

 Roi et Reine conjugués

*

O Grands Couples malmenés

Homme et Femme – Blancs et Noirs

 En quête d’éternité

 *

Rois et Reines animés

Sur le plateau du désir

 Tel un grand rêve brisé

 

 A.C.

18 juin, 2012

Emile Gilioli illustrateur.

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Emile Gilioli (1911 – 1977) est surtout connu pour ses sculptures, mais il fut aussi dessinateur et lithographe.  

Emile Gilioli  illustrateur. gilioli-0013-207x300 

Cette composition lithographiée est le frontispice original du recueil de poésie de Marie-Henriette Foix (1903-1995) intitulé La Liberté tombe des arbres (Les Ecrivains réunis, Armand Henneuse Editeur, 1958). On retrouve dans ce dessin le caractère des ébauches qu’il effectuait avant de travailler la pierre, « la géométrie pure du volume » qui caractérise l’oeuvre du sculpteur (dimensions de l’illustration : 19 cm x 14 cm).

 

Le Pays de minuit (Marcinelle)

Soufre enflammé, paons évadés,

langues folles de lumière

n’ont pu lécher

le noir de mon visage.

Ni blanc, ni jaune ou bleu

n’a couvert l’anthracite

avec une autre vérité.

L’eau n’a jamais emmené

la fatigue sous la peau.

Fassent les brasiers grimpeurs

tourner au noir l’azur du ciel !

 

Ma peine y fera son partage.

M.-H. Foix

(Marcinelle est le nom d’une section de la ville belge de Charleroi où se produisit le 8 août 1956 une grande catastrophe minière).

 

2 juin, 2012

Lire « La Méduse » de Bruno Henri Labeaume, Editéal, 2012.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 21:58

 

Lire

Bruno Henri Labeaume, La Méduse, Editéal, 2012, 308 p.

D’un univers carcéral à l’autre – au sens propre comme au sens figuré, Bérengère Lemoine incarne le légitime désir  de bonheur et de réussite ; peut-être a-t-elle une chance de réussir. Mais non, la fiction, dont nous ne donnerons que le point de départ, ne tardera pas à nous prouver le contraire. De chapitre en chapitre une tension se met en place, par paliers, et le malaise s’installe progressivement. Des situations étranges et les rebondissements qui en découlent vont ponctuer l’intrigue et nous ne saurons pas jusqu’au dernier instant quel sera le dénouement.

Enseignante dans une prison pour femmes, l’héroïne est en quête d’amour et de sens. Elle s’éprend d’une détenue, Théodora. Bérengère a « un complexe » qui l’empêche d’aimer son propre corps : « Elle préférait aimer le corps des autres ». Ce désir d’amour se double d’une quête spirituelle car Bérengère fréquente les mouvements dits de « recherche spirituelle », ce qui montre qu’elle est insatisfaite, aussi, des capacités de son propre esprit pour conduire de façon autonome sa vie. De cette fréquentation, elle découvre peu à peu le risque d’enfermement, les ambiguïtés et les manipulations. Fragile, elle n’est pourtant pas isolée, elle a de longues discussions à ce sujet avec son ami Auguste Sperandio qui fait précisément une étude de ces mouvements.

Mais une autre détenue, jalouse, la Méduse, veille. Elle est « comme un danger permanent », la figure de l’angoisse, de l’énigme, du trouble généralisé. « Il n’y avait rien à dire quand la Méduse était en colère. Surtout ne rien dire. La Méduse continuait son monologue. Elle continua pendant une heure, à voix de plus en plus basse, avec des mots de plus en plus durs ». Théodora meurt d’une manière tragique. Bérengère, bouleversée, décide de partir en voyage. Elle rencontrera les hommes au ventre jaune, les vieillards éveillés et les hommes-panthères… Elle reviendra même des enfers, un espace digne du panneau de Jérôme Bosch, entre Dante et Sade. Rêves diurnes,  fantasmes nocturnes, univers parallèles où l’utopie et le monstrueux côtoient la réflexion, la satire et l’ironie ? Peu importe, c’est le cheminement de la fiction au fil des lignes qui compte, et notre propre désir de connaître « la fin de l’histoire ».

Dans ce monde d’illusion, La Méduse  met en scènes le douloureux secret de polichinelle qui nous fait tous languir. L’auteur les porte à bout de bras pour nous protéger de son terrible regard.

Bruno Henri Labeaume est aussi un musicien de talent qui pratique en tant que pianiste la musique de chambre.

L’adresse web du Trio Organdi est la suivante : www.wix.com/trioorgandi/fr

4 avril, 2012

L’image du livre dans le livre aux 17e et 18e siècles.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 7:16

 

Dans la bibliothèque du savant et de l’érudit

 

L'image du livre dans le livre aux 17e et 18e siècles. P10305301 

 Lettres choisies de feu Mr Guy Patin Docteur en médecine de la Faculté de Paris, & Professeur au Collège Royal… – A Cologne : chez Pierre Du Laurens, 1691. – 12°. (3 vol.).

Frontispice gravé sur cuivre en tête du premier volume de ces Lettres.

 

Guy Patin, médecin et homme de lettres (1601-1672), est connu aujourd’hui par la correspondance qu’il a entretenue avec les principaux savants de son époque.

 Sa verve et sa liberté de ton sur tous les sujets abordés font de lui un philosophe « libertin », c’est à dire libre de tout préjugé. Ainsi : « La Cour est une belle putain qui donne bien souvent à ses amoureux des cassades [mauvaises excuses, défaites] & de belles espérances. Pour moy j’aime bien mieux mes livres qui font ma tranquillité plus sure, & qui feront peut-être celle de mes enfans. Il est vray que je n’en seray pas plus riche : mais aussi, j’en auray moins d’inquiétude » (Lettre CIII, 22 février 1656). Et encore, L. CXVII, 9 avril 1658 : « Je pense que de tout tems on a trompé le monde sous prétexte de Religion. C’est un grand manteau qui affuble bien des pauvres & sots animaux. »

Guy Patin avait une belle bibliothèque d’environ 10 000 volumes. Il semble que ce soit lui le premier qui ait employé le terme de « bibliomanie » : « A propos de Livres, voulés-vous bien me faire la grace de m’acheter à Lyon les Livres dont je vous envoye la note.  Ma Bibliomanie vous fait souvent de la peine ; peut-être que je serai plus sage & plus supportable l’année qui vient. » (Lettre LXXXIII, 1er mai 1654).

La gravure représente ici le savant ou l’érudit dans son cabinet de travail, entouré de tous les livres qu’il a  lus ou écrits. Les volumes tapissent les deux murs de l’espace ici représenté. Ce sont des livres pour la plupart du grand format dit « in folio », de gros livres qui sont les sommes du savoir passé et présent. C’est une image conventionnelle de l’auteur en majesté assis à sa table de travail où l’on voit une écritoire portant une feuille de papier déjà écrite, un carnet et un encrier avec sa plume. Cette image est elle-même l’écho lointain des représentations des quatre évangélistes peintes dans les manuscrits médiévaux.

Une clochette et un sablier figurent aussi sur la table. Le sablier est un rappel du temps qui passe, le signe discret d’une « vanité » qui rappelle à l’homme, quel qu’il soit, sa condition de mortel, même si l’auteur célébré tient sur ses genoux le livre qui lui permet de passer à la postérité. Le rideau peut être un rappel du voile du Temple de Jérusalem  qui cachait le Saint des Saints ; il n’est pas aujourd’hui déchiré dans une perspective eschatologique mais simplement tiré  à droite pour laisser apparaître les nouvelles connaissances profanes livrées aux lecteurs avides de savoirs. Symbolique ou décoratif, il souligne le caractère théâtral de la mise en scène.

 ***

Dans la boutique du libraire

 

P1030533

 

Le Petit Paroissien, contenant l’Office complet des dimanches et fetes… En Latin & en François. Selon l’usage de Paris & de Rome. En 4 volumes. Partie du Printemps. – A Paris : chez Louis-Guill. de Hansy, sur le Pont au Change, à S. Nicolas,  [1768]. – 12°.

Frontispice gravé sur cuivre en regard de la page de titre imprimée.

 

Sous l’Ancien Régime, le libraire était souvent éditeur. Nous ne voyons ici que la boutique de vente de  l’entrepreneur. Le nom et l’adresse de l’éditeur figurent dans un cartouche dans la partie inférieure de la représentation. Cette image publicitaire répète, en les illustrant, les mentions déjà imprimées sur la page de titre : le nom, le lieu, l’enseigne de saint Nicolas ; elle les complète en ajoutant la nature des livres proposés et les titres de quelques nouveautés (sous l’image).

La mention de vente de livres religieux sur le Pont au change n’est pas un hasard. Le Code de la librairie de 1744 souligne que le périmètre réservé, à Paris, aux boutiques des libraires, est le quartier de l’Université et l’intérieur du Palais de la Cité. En dehors de ce périmètre, aux environs du Palais, sur le parvis de Notre-Dame, sur le Pont au change et le quai de Gesvres, ne pourront être vendus par les libraires que des heures, des petits livres de prières, des édits, des déclarations et des arrêts. Il s’agissait bien entendu, pour le pouvoir royal, de contrôler au plus près la production et la vente des livres.

L’image fait coexister en les juxtaposant de manière fictive l’espace intérieur, l’intérieur du magasin, au premier plan, et l’espace extérieur, une représentation partielle du pont surmonté de ses bâtisses, visible en perspective au second plan par une ouverture monumentale. On discerne trois barques sur le fleuve.

A l’intérieur, de chaque côté, les rayonnages chargés de livres qui paraissent tous identiques montent jusqu’au plafond. La petitesse de la représentation permettait difficilement une individuation. On distingue cinq personnages, deux employés, un homme et une femme derrière les banques et trois clients. Un ecclésiastique assis à gauche sur une banquette, un livre sur les genoux,  tourne la tête en direction de l’employé tourné, lui, vers les étagères ; en face, l’employée tenant un livre en main s’adresse à une jeune dame assise sur un fauteuil ; derrière elle, sur une sorte de tabouret, un homme en perruque consulte un livre.

L’impression générale donnée par la gravure est celle d’un magasin calme, spacieux, bien achalandé, où les employés sont au service des clients qui peuvent faire leur choix en prenant leur temps tout en étant bien installés pour consulter les ouvrages. Il s’agit d’une image publicitaire qui, sans être mensongère, est vraisemblablement assez idéalisée.

 

 

6 mars, 2012

« Ne sois jamais sans vert au mois de mai Hélène »

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 10:06

 

 Ne sois jamais sans vert au mois de mai Hélène

 

Recueil des plus beaux vers de Messieurs de : Malherbe, Racan, Maynard, Bois-Robert, Montfuron, Lingendes, Touvant, Motin, Lestoile, et autres divers auteurs. – Paris, Toussainct Du Bray, 1629. – 8°. Reliure parchemin.

Edité dès 1609, ce volume est un des pricipaux recueils de poésies du 17e siècle. Plusieurs fois édité, remanié, augmenté, il contient les vers de nombreux  poètes célèbres en leur temps comme Malherbe, Racan, Maynard… mais aussi de nombreuses pièces d’auteurs peu connus ou quasi inconnus aujourd’hui mais dont certaines méritent pourtant toujours notre attention, tel ce sonnet du Sieur Dumay (1585-1649) :

 

Du-May-0013

 

Sonnet

 

Amour n’est rien qu’un Ciel, où chaqu’un voit sa belle,

Amour n’est qu’un Enfer, où nos coeurs sont gesnez,

Amour n’est rien qu’un Dieu, qui nous rend fortunez,

Amour n’est qu’un Démon, qui nos ames bourrelle.

 

Amour n’est rien qu’un Jour, qui nos ans renouvelle,

Amour n’est qu’une Nuit, qui nous rend forcenez.

Amour n’est rien qu’un feu, duquel nous sommes nez,

Amour n’est rien qu’un froid, d’où notre sang se gele.

 

Amour n’est que la Vie & le repos de tous,

Amour n’est que la Mort, qui couve dedans nous :

Que dis-je ? non, l’Amour de tant de maux suivie

 

N’est qu’Enfer, que Démon, que Nuit, que froid, que Mort ;

Mais helas ! Je me trompe, Amour je te fais tort :

Tu n’es que Ciel, que Dieu, que Jour, que Feu, que Vie.

 

Paul Dumay, seigneur de Saint-Aubin, magistrat, né en 1585, est reçu au Parlement de Dijon le 4 mai 1611. Il meurt dans la même ville en 1649.  Descendant d’une famille originaire de la Beauce, il naquit à Toulouse où son père avait été médecin (de la faculté de Montpellier). Dans son oeuvre modeste (en français et en latin), on peut relever Les Lauriers de Louis le Juste [Louis XIII], roi de france et de Navarre (70 p., Paris, 1622), texte conservé à la Bibliothèque Nationale. Sa participation à ce Recueil des plus beaux vers… , qui consiste en deux sonnets, n’est pas relevée dans les anciennes bibliographies. Le second sonnet est le suivant :

 

Sonnet 

 

L’Homme n’est rien qu’un mort, qui traine sa carcasse,

L’homme n’est rien qu’un ver, qui de la terre nait,

L’homme n’est rien qu’un vent, qui soufle un petit trait,

L’homme n’est rien en soy, qu’un songe qui se passe.

 

L’homme n’est rien qu’un ombre, aussi tost il trépasse,

L’homme n’est rien, qu’un rien, que nommer on ne sçait,

Mais quoy Rien ? non, car l’homme est un estre parfait ;

Quoy, qu’Ombre ? non, car l’homme est un corps qui tient place.

 

L’homme n’est pas un songe, ains un esprit vivant.

Est-il vent ? non, mais Ame en compas se mouvant :

L’homme n’est pas un ver, mais du grand Dieu l’image.

 

Et moins est-il un mort, puisqu’il souspire bien : 

Qu’est-il doncques ? il est en son pelerinage, 

Un Mort, un Ver, un Vent, un songe, un Ombre un Rien.

 

Les images, tout comme  l’expression, sont représentatives de cette délicate et tourmentée période de transition, à la recherche d’un nouvel équilibre, appelée « baroque », entre la fin des guerres de religion et le début du règne personnel de Louis XIV…

 

***

Ne sois jamais sans vert au mois de mai Hélène est une adaptation personnelle du « Je vous prends sans vert », formule d’un jeu qui donna son titre à une comédie en un acte, en vers, de La Fontaine, représentée pour la première fois le premier mai 1693.

Il s’agit d’un ancien jeu de société qui remonterait au 13e siècle, où quiconque – au mois de mai - était pris sans un rameau de verdure (fraîche) sur lui (donc sans « Vert ») était passible d’un gage. « Etre pris sans vert » a ainsi pris le sens de  »être pris au dépourvu ».

Mais vivre sans vers, être pris sans vers, sans lire des vers… , nous condamne bien plus encore aujourd’hui  au dépourvu, beaucoup plus que nous ne pouvons le penser ou l’imaginer…

 

16 janvier, 2012

THOMAS DE THONON et son « Traité d’hygiène » (1286).

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 15:31

 Connaissez-vous le premier auteur d’origine savoisienne ?

 

THOMAS DE THONON et son

Thomas de Thonon. – Trairé d’hygiène (1286), traduit pour la première fois en français moderne par A. Collet ;  suivi de la deuxième édition revue et complétée  du texte en ancien français. – Sabaudiae Dicatus, 2010. – 20 cm.

 Premier auteur d’origine savoisienne connu à ce jour, Thomas de Thonon est aussi le premier, médecin et versifieur, a avoir rédigé directement en français et en vers, son poème scientifique.

Le volume qui contient la présentation de l’auteur et de son oeuvre, le texte de la traduction en français moderne et le texte en ancien français peut être consulté dans toutes les grandes bibliothèques publiques (dont les bibliothèques universitaires). 

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