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21 janvier, 2017

Une rare édition du « Traité de l’amour de Dieu » de François de Sales publiée en 1617

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Une rare édition  du Traité de l’amour de Dieu de François de Sales publiée en 1617

Le volume, de format in-12°, en bon état, présente une reliure en vélin à rabats dont les lacets ont disparu. Il porte au dos une pièce de titre très érodée où apparaît en lettres dorées : « … DE SALES / DE L’AMOUR DE DIEU ».

Cet exemplaire, vraisemblablement unique, a la caractéristique de présenter à la suite deux pages de titres différentes. La première est la suivante :

TT1

Traicté de l’amour de Dieu. Par François de Sales… – A Douay : de l’imprimerie de Marc Wyon, 1617. – 12°.

Cette page – qui ne comporte pas de vignette – est endommagée en son milieu par la découpe rectangulaire d’un ancien ex-libris manuscrit, page depuis soigneusement réparée par un papillon collé au dos. Le « format » de cette découpe ne correspond pas à l’emplacement d’une éventuelle vignette autrefois présente. Quelques lettres ont néanmoins échappé au vandalisme et l’on peut encore lire « … [G]ournay  ( ?) ». Une seconde mention au-dessous : « Ex-dono… Maton / C. J. Duray…  (?) 1823 ». Un vicaire à Chappelle-à-Wattines,  C. J. Duray, apparaît dans l’Almanach du clergé catholique romain des Pays bas , Bruxelles, 1828.

La seconde est :

TT2

Traicté de l’amour de Dieu. Par François de Sales… – A Lille : chez Pierre de Rache, 1617.

La vignette gravée sur cuivre est présente. Elle reproduit, mais inversée, la belle vignette originale de Pierre Rigaud, l’éditeur lyonnais de François de Sales, éditeur de la première édition du Traité en 1616 (achevé d’imprimer : 31 juillet 1616). Elle représente un sacré cœur et, disposé dessus, une figure de l’enfant Jésus tenant sur ses genoux, de la main gauche, un globe et une croix, tandis qu’il pose son visage méditatif sur la paume de sa main droite ; une couronne d’épine est placée au-dessus de sa tête sur un fond de soleil éclatant. Deux palmes déployées en ovale entourent le sujet.

Le privilège placé à la fin des pièces liminaires est accordé pour six ans à Pierre de Rache, l’éditeur lillois, « le dernier d’octobre 1616 ». Ensuite « Pierre de Rache a accordé part & portion  du susdict privilège à Marc Wyon imprimeur & libraire en la ville de Douay, pour pareil droict que luy, pour l’impression dudict livre, par accord faict par ensemble le 13 de janvier 1617 ». Le volume a 1083 pages numérotées suivies de la table ; à la fin de celle-ci est donnée la mention : « A Douay, de l’imprimerie de Marc Wyon, 1617 ».

Cette édition rare et de fait précieuse n’a pu être étudiée par Dom Mackey OSB, l’éditeur du Traité dans les Œuvres complètes des Visitandines d’Annecy (27 volumes, 1892-1964) ; il n’en a eu connaissance que par une réimpression de 1625 car il note dans sa préface : « Le Traitté (sic) semble avoir été publié à Douai immédiatement après son apparition, car dans une réimpression faite par Marc Wyon en 1625, on lit une intéressante Approbation du célèbre François Sylvius, datée du 7 septembre 1616 ». En fait, sur notre exemplaire, nous lisons bien, à la fin de l’Approbation, qui précède le privilège, « 7 décembre » (au lieu de « 7 septembre »). L’erreur de transcription est due soit à l’édition de 1625, soit à une confusion au moment de la rédaction de la préface de Dom Mackey. 

Cette nouvelle édition du Traité partagée entre les deux libraires mais imprimée par Marc Wyon à Douai a donc été produite six mois seulement après la première édition lyonnaise dont l’achevé d’imprimer est du 31 juillet 1616. Elle est peut-être même antérieure au tirage de 1617 donné à Lyon par Pierre Rigaud.  La ville de Douai est ainsi la seconde ville française à avoir publié le TraitéIl serait intéressant du point de vue de l’histoire du livre en général et de l’histoire du Traité en particulier, de savoir par quels canaux, comment, et dans quelles conditions un privilège d’imprimer fut donné à Pierre de Rache à Lille, mis en oeuvre ensuite par Marc Wyon de Douai. Quoi qu’il en soit, les exemplaires de cette édition partagée demeurent très rares puisqu’il semble que l’on n’en connaisse, à ce jour, sauf erreur ou omission, que trois exemplaires seulement en bibliothèque, quatre avec le nôtre.

Un exemplaire est conservé à la BM de Lille (cote 20008) ; il est donné par Pierre de Rache, avec la même vignette et l’achevé d’imprimer identique à celui cité supra.

Deux autres exemplaires, donnés par Marc Wyon, appartiennent, l’un à l’Université des Jésuites de Paris (Centre de Sèvres, cote [A 337/310]), l’autre à la Province hollandaise des Oblats de Saint François de Sales. Ces deux exemplaires possèdent bien la vignette au titre.

Quant au nôtre, il se distingue par ses deux pages de titres dont la première, celle de Marc Wyon, ne possède pas la vignette.

Comment expliquer cette curiosité bibliographique ? Le stock d’exemplaires de Marc Wyon ayant peut-être été épuisé avant que Pierre de Rache n’ait vendu tous les siens, peut-être a-t-il,  avec l’accord de son associé, puisé dans celui de Pierre de Rache en ajoutant  aux volumes  une page de titre à son nom sans avoir besoin de reproduire la vignette déjà visible sur la page de titre de Pierre de Rache.

***

Il nous faut maintenant décrire le cachet de bibliothèque apposé au verso de la seconde page de titre. Il s’agit d’un tampon encré ovale de 4 cm de long sur 2 de large environ dont l’encre pâlie tirant sur le violet ne facilite pas la lecture. Au-dessous figure, écrit à la main, à l’encre bleue, le nombre « 31540 ». Vraisemblablement cote ou numéro d’inventaire, ce numéro dénote néanmoins l’importance de la bibliothèque.

Ce tampon paraît être du XIXe ou du début du XXe siècle. Il faut observer d’abord qu’il est apposé d’une manière intelligente au verso du feuillet non imprimé, respectant par là la vignette de l’éditeur ou le titre au recto, ce qui n’est pas toujours le cas, hélas, sur nombre de livres. Malgré l’encre pâlie qui gène particulièrement la lecture de la seconde ligne en petits caractères, on peut néanmoins lire la marque d’appartenance :

« BIBLIOTHECA / Congr.  SS. Redemp. / PULCHRIJUGI ».

Sur d’autres livres anciens du XVIIe ou du XVIIIe siècle repérés sur des catalogues de vente, on trouve parfois aussi « Bibliotheca Congreg. SS. Redempt. ad S. Joannem Pulchri Jugi » ; il en est ainsi sur le volume suivant conservé à la Thomas Fisher Rare Book Library (Université de Toronto) [Opera selecta Sancti Hilarii Pictavorum Episcopi. vol. 2]. – S.l., s. n., [17-- ?].

 Pulchrijugi, en latin, pourrait signifier « Beaujeu ». Il existe en effet plusieurs localités en France portant le nom de « Beaujeu ». Mais le toponyme originel est Bellojoco de Bellum jugum, mot composé de bellum, beau, synonyme ayant supplanté pulcher en bas latin, et de jugum, mont, sommet, confondu ensuite avec jocum, jeu, ce qui donne à l’arrivée « Beaujeu » (Toponymie générale de la France, Vol. I, Droz, 1990). Pulchrijugi pourrait donc être une variante de « Beaujeu » revenant au latin classique (?).

A moins qu’il ne faille revenir à « Beaumont » ou à un « Saint Jean de Beaumont ». Il existe une paroisse Saint Jean de Beaumont à Tours, mais sans liens, apparemment avec des Rédemptoristes… Peut-être des bibliophiles ou des chercheurs pourront-ils nous apporter leur aide et résoudre la difficulté de cette provenance.

 

***

Marie de Gournay et François de Sales :

un ex-libris de Marie de Gournay sur une édition du Traité de l’amour de Dieu

imprimée à Douai en 1617 ?

 

Nous avons relevé les mentions de plusieurs noms sur la page de titre de l’édition donnée par Marc Wyon, en particulier celui de « [G]ournay » ( ?) dont le « G » ( ?) est hélas en partie mutilé par une découpe volontaire. Au moment de la rédaction de la description de l’édition qui était le sujet principal de notre attention, nous étions resté seulement perplexe devant ce nom devenu célèbre auprès de Montaigne. Nous ne faisions pas plusieurs « rapprochements » que nous nous risquons aujourd’hui à examiner. Ces rapprochements sont de deux ordres, à la fois intellectuel et matériel.

En effet, Mario Schiff, dans son étude sur La fille d’alliance de Montaigne (Champion, 1910), nous dit : « Elle admirait François de Sales, méditant ses œuvres et lui écrivant ». Mme Viviane Mellinghoff-Bourgerie nous apprend que La Mothe Le Vayer « [a pris] connaissance du Traité de l’amour de Dieu dans la bibliothèque de Marie de Gournay » (Conférence de Thonon, Académie chablaisienne, 22-23 octobre 2010). Le château de Gournay sur Aronde n’est situé qu’à 122 kms de Douai, à 139 kms de Lille.

L’édition imprimée à Douai par Marc Wyon et mise en vente par lui-même et par Pierre de Rache à Lille semble réellement devancer la seconde édition de 1617 de l’éditeur original Pierre Rigaud à Lyon (date de l’édition originale du Traité : 1616). Don Mackay lui-même, éditeur des Œuvres  complètes de François de Sales (Visitandines d’Annecy, 1892-1964) s’interroge sur ce point qui n’est pas facile à élucider comme nous l’avons relevé lors de notre première étude. Se pourrait-il que Marie de Gournay – si c’est bien elle – ait pu faciliter, d’une façon ou d’une autre, en raison des rapports privilégiés qu’elle avait avec François de Sales, une telle opération ? L’intérêt de Marie de Gournay pour l’auteur, la proximité matérielle des lieux et la date de cette seconde édition sont des « faits » qu’on ne peut pas ne pas au moins relever.

La deuxième « explication » que nous pouvons imaginer est que le hasard a fait que Marie de Gournay a tout simplement pu acheter cette édition immédiatement et matériellement disponible pour elle au moment où elle a eu connaissance de cette parution.

La page de garde à la fin du volume est recouverte aux deux tiers d’une annotation du XVIIe siècle sous forme de question/réponse : « Question : l’amour des saints dans le ciel est-il plus grand, plus pur, plus parfait que [celui] des justes sur la terre ?… », faisant référence au chapitre VII du livre III.

*

Nous avons bien conscience que nos hypothèses reposent sur la base très fragile de la mention « [G]ournay » et que nos rapprochements ont fait le reste. Quoi qu’il en soit, il nous a néanmoins paru intéressant de relever ces faits en espérant que des chercheurs connaissant bien la vie, l’environnement et l’œuvre de Marie de Gournay puissent éventuellement apporter (ou non) un autre éclairage sur ces points.

 

 A. Collet

 

 

23 mars, 2015

Hommage vertical à Roberto Juarroz (1925-1995), poète argentin

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 9:12

Hommage vertical à Roberto Juarroz (1925-1995), poète argentin

Juarroz

Paris, Lettres Vives, 1984, 22 cm.

*****

La parole accompagne l’homme

comme l’aboiement le chien

ou l’arôme la fleur.

Mais le silence, qui accompagne-t-il ?

Et qui, l’absence ?

Et qui, le vide ?

(NPV, 30).

****

 

« Il faudrait laisser des livres partout. A un moment ou à un autre quelqu’un les ouvrira sans doute. Et faire de même avec la poésie : laisser des poèmes partout, puisque quelqu’un les reconnaîtra sûrement un jour ». Fragments verticaux, « Presque raison », n° 113, p. 85.

***

Un mot est encore l’homme.

Deux mots sont déjà l’abîme.

Un mot peut ouvrir une porte.

Deux mots l’effacent.

(P. V, VII, 9, extrait)

**

Roberto Juarroz (5 octobre 1925 – 31 mars 1995), dont nous célébrons ici le 20e anniversaire de sa mort, est un immense poète argentin dont l’oeuvre entière est rassemblée sous le seul titre de Poésie verticale, avec simplement un n° d’ordre pour chaque recueil (de 1 à 15) et un n° pour chaque poème. Les recueils n° 13 à n° 15  sont disponibles chez José Corti. Le recueil Nouvelle poésie verticale a été publié chez Lettres vives en 1984, Fragments verticaux chez Corti en 2002 (2e édition). Une anthologie couvrant les recueils 1 à 10 est disponible dans la collection de poche Points/Poésie. Il faut lire Roberto Juarroz qui est certainement un des plus grands poètes du XXe siècle. « La poésie est une forme d’éveil » dit-il dans un entretien à la revue Spirale-Inkari (n° 7).

*

Si le plus haut consiste

à n’être pas ce qu’on est,

en quel singulier espace

doit-on se séparer de soi-même ?

(NPV, 41, extrait).

*

J. R.

26 février, 2015

« Why not sneeze Rose Selavy » de M. Duchamp enfin expliqué ?

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 18:49

 

WHY NOT SNEEZE ROSE SELAVY ? (1921-1964)

de Marcel Duchamp enfin expliqué ?

Rêverie duchampienne et boustrophédoniste

 Pourquoi ne pas éternuer Rose Sélavy ? Il est certain qu’on ne peut aborder le décryptage du fameux titre du non moins célèbre ready-made de Marcel Duchamp sans un minimum de connaissances sur l’homme et son œuvre, pour ne pas dire son Grand Œuvre, car c’est bien de cela qu’il s’agit : le Grand Verre couplé à Etant donnés… Nous espérons que notre lecteur le possède. Il est bien sûr possible de nous lire même sans cette connaissance, car, après tout, cet article pourrait constituer une sorte d’introduction, quitte à revenir plus tard sur chacun des points évoqués. Mais, pour les « spécialistes » comme pour les « néophytes », jusqu’où ira la bénévolence des lecteurs, en une matière si nouvelle ?

La petite cage d’oiseau remplie de cubes de marbre (que l’on prend au premier abord pour des morceaux de sucre) auxquels M. D. ajouta un thermomètre et un os de seiche n’a pas cessé de faire couler beaucoup d’encre. Il en est de même du titre en anglais. Nous n’avons pas connaissance d’un essai de décryptage de la lettre, à la lettre, de ce titre. Alain Boton, dans son livre si important Marcel Duchamp par lui-même (ou presque) (Editions FAGE, 2013), pense qu’il doit cacher « un jeu de mots en anglais » mais avoue « [ne pas avoir] saisi l’indication qu’il apporte ». C’est cette « indication » que nous allons déchiffrer, en nous fondant sur la connaissance que nous avons de l’œuvre et de l’humour ravageur dont l’artiste a su faire preuve tout au long de sa vie, au dépens des tenants de l’Art.

Alain Boton a raison de soupçonner un jeu de mots, c’est bien le cas, où l’anglais intervient. Mais l’anglais intervient, de fait, pour moitié seulement. Car si la première moitié de l’énigme fut bien rédigée en anglais (la question), sa lecture réponse (i. e. la seconde moitié, camouflée) non seulement décrypte le texte mais le traduit aussi en français (sauf un mot). L’hébreu, comme nous allons le voir, apporte aussi une pierre à l’édifice. Nous donnons d’abord la lecture du ready-made matériel donnée par A. B. : « Je maîtrise (cage à oiseau) par mon intelligence (thermomètre) le processus de transmutation qui va transformer un objet de consommation courante (sucre) en œuvre d’art (marbre) une fois que je serai mort (os de seiche) ».

Mais ce ready-made fait aussi et en même temps référence à l’urinoir qui, comme l’on sait, va passer à la postérité en tant qu’œuvre d’art sous le beau nom de Fontaine, œuvre scandaleuse s’il en est. Notre lecture du titre n’invente ni ne projette rien de subjectif : elle lit à la lettre et utilise les mêmes procédés que M. D. a employés tout au long de sa vie dans ses jeux de mot divers et variés, souvent approximatifs, procédés dont nous avons un large échantillon dans Poils et coup de pieds en tous genres de Rrose Sélavy (GLM, 1939) ainsi que dans les Notes posthumes (Centre Georges Pompidou, 1980 / Flammarion, 2008). Les mots « découverts » renvoient à son œuvre et à ses concepts comme A. B. l’a montré.

La lecture du titre anglais du ready-made doit s’effectuer de droite à gauche. Le principe est donc celui de l’écriture boustrophédon qui écrit et conduit la lecture des lignes dans un sens puis dans l’autre. C’est une lecture phonétique à l’envers, en miroir, miroirique, d’une grande importance pour M. D. puisqu’elle conditionne toute la signification de l’ensemble de son œuvre. Question :

WHY NOT SNEEZE ROSE SELAVY ?

Réponse :

Y VA LES ESORE ZEENS TON YHW.

Soit : I[l] va les e[s]sore[r]  thin(s) (= mince) ton dieu (YHW[H]) = dieu  / Rose Sélavy = Eros).

Il s’agit ici du premier niveau de lecture. Dans  « Il va les essorer mince ton DIEU », M. D. se parle à lui-même (en riant sous cape), son dieu n’étant évidemment pas Yahvé ( YHW) mais bien Rrose Sélavy, alias Eros, alias la postérité (c.f. A. B., p. 90). Remarquez que le W (le double V) peut renvoyer au double R de « Rrose » écrit souvent et plus commodément  « Rose » avec un seul R. Par ailleurs « Sélavy » n’avait-il pas été choisi pour sa sonorité « juive » ?

En ce qui concerne « thin » (« mince »), le mélange des deux langues,  le français et l’anglais, s’il n’est pas courant, est néanmoins bien attesté dans les jeux de mots de M. D. : ainsi « Coup de gueule / Good girl » (note 229),  « Do shit again Douche it again (note 232), « FAIR éphémère » (note 226), « Swiss side (suicide) » (note 287) (Notes, Flammarion, 2008).  Avec « essorer mince »,  M. D. profite de la figure de style appelée « énallage », c’est à dire l’emploi d’un adjectif pour un adverbe comme « parler haut », » peser lourd »…  Essorer donc de manière à les rendre « minces » car « mincement » n’existe plus aujourd’hui dans notre langue.

On peut encore découvrir un second niveau de lecture : « Il va les essorer mince ton NID achevé ».

M. D. s’adresse ici à Rose Sélavy ; il évoque « son nid achevé » soit l’installation  d’Etant donnés… où le corps de Rose Sélavy apparaît au premier plan sur un lit composé de branchages (comme un nid), espace sinon douillet du moins resserré qui peut réellement figurer un nid quand on regarde l’installation de dos, donc de façon inversée (cf. la photo in Janis Mink, Duchamp, Taschen, 2004, p. 89). « Nid achevé » est la lecture de l’allographe « ([to]n Y. H. V. », procédé identique à celui de « L.H.O.O.Q. » (« Elle a chaud au cul »), autre célèbre titre. L’allographe  est une suite de lettres n’ayant de sens que si celles-ci sont prononcées les unes après les autres, ce qui est le cas. Voyez  une longue liste de tels jeux dans la note 266 de Notes (Flammarion, 2008).

*

Nous sommes encore loin d’avoir épuisé le sens de ces deux lectures. Revenons à la première lecture : « Il va les ESSORER mince ton dieu ». Essorer : comme le montre A. B. dans son livre, le choix des mots comme celui des objets fait sens en tissant des liens entre les différentes œuvres (les jeux de mots comme les objets) qui s’éclairent ainsi mutuellement les unes les autres relativement au projet de M. D. (cf. la lecture par A. B. de Why not Sneeze… citée plus haut). Soit « [un] semblable conceptuel à travers des formes différentes » (A. B., p. 11) avec une cohérence qu’on ne pouvait imaginer.

Ainsi « essorer » ne peut pas ne pas renvoyer au Porte-bouteilles ou Sèche-bouteilles (1914) qui est un « égouttoir, un objet pour égoutter l’art, pour en supprimer la notion de goût » (A. B., p. 9). Essorer, c’est tordre un linge ou une toile (figures de l’œuvre d’art selon M. D., cf. A. B.) pour en exprimer l’eau par torsion en les amincissant au maximum, en les rendant « thin », si proche de l’« infra-mince » bien connu. « Le Porte-bouteilles : elle aura [l’œuvre d’art], en fin de processus, vidé l’art de ses derniers goûts / gouttes » (A. B., p. 11). En fait, ce ne sont pas seulement les œuvres d’art qui vont être essorées mais encore les visiteurs quand ils verront Etant donnés… que Why not Sneeze… annonce subrepticement dès 1921. Les regardeurs vont recevoir un sacré coup de pieds de la part de M. D. gagnant à la loterie de la postérité (c’est nous qui soulignons).

Notons au passage que les œuvres d’art essorées « en français » sont rendues « minces » – thin – mais dans la langue originale du titre du ready-made, l’anglais, comme si l’auteur de l’énigme, par cette apparente distorsion, voulait garder un pied sur le continent de chaque idiome et polir un peu plus le jeu de miroirs dans un aller-retour permanent et consubstantiel entre le lieu de départ et la formule d’arrivée…, même si lettres et phonétisme ont « simplement » permis ce que les virtualités des langages « autorisaient » (en français comme en anglais).

Voyons maintenant la seconde lecture : « Il va les essorer mince ton nid ACHEVE », c’est-à-dire une fois terminée l’installation d’Etant donnés… devenue visible en 1969, après la mort de son auteur (en 1968) , installation qui va non seulement malmener le concept classique d’œuvre d’art, comme dit plus haut, mais aussi toutes les interprétations que les plus acharnés regardeurs avaient pu formuler sur l’ensemble de son œuvre. Il faut remarquer que la première lecture, comme la seconde, formulent clairement un état, une situation à venir (Il va…) qui prouvent sans conteste la préméditation de l’action et la quasi certitude de la découverte de la signification dans l’avenir. Cette opération de décryptage a lieu 50 ans exactement après l’édition de la réplique de Why not Sneeze… en huit exemplaires donnée en 1964 par Arturo Schwarz (1964 – 2014) en sa galerie. « Peut-être vous faudra-t-il attendre cinquante ou cent ans pour toucher votre vrai public, mais c’est celui-là seul qui m’intéresse »  (M. D.). On peut même dire cent ans si l’on se reporte au Porte-bouteilles donné en 1914…

*

Il est temps maintenant de citer  le catalogue des œuvres de M. D. composé  par M. D. et A. Schwarz intitulé Hommage à Marcel Duchamp, Ready-mades, etc. (1913 – 1964), Le Terrain Vague, 1964. Comme nous l’avons montré sur ce même blog dans notre critique du grand livre novateur d’A. B., Etant donnés 1) Alain Boton, 2) Marcel Duchamp par lui-même (ou presque), page du 11 novembre 2013, ce catalogue  est la preuve matérielle, concrète, du dispositif abstrait de « la pendule de profil » imaginée par M. D. relativement à son Grand Œuvre, le Grand Verre désormais couplé avec Etant donnés…, dispositif que A. B. nous révèle dans toute sa splendeur p. 27 de son livre.

Revenons au livre d’A. B. Nous sommes obligé de le citer un peu plus longuement maintenant pour les personnes qui ne l’ont pas encore lu car la compréhension de ce dispositif est essentielle pour comprendre le cheminement de M. D. : « Comme le montre le croquis ci-contre, cet ensemble, Grand Verre à gauche, et Etant donnés… à droite, est une pendule de profil… Si, à gauche, le spectateur est face au programme que va suivre dans le temps l’urinoir, on peut dire qu’il voit l’avenir de cette aventure d’un point de vue de 1913, la perspective indiquant un point d’horizon qui est, par la force des choses, la fin de cette aventure : la mort de Duchamp. De même, si à droite, le spectateur regarde dans le petit trou de la porte [de Etant donnés…], c’est qu’il est obligatoirement et au plus tôt en 1969, dans la mesure où Duchamp a tenu à ce que cette œuvre soit posthume. Puisqu’elle n’a été exposée qu’après sa mort, on peut dire que le spectateur a été sciemment positionné par Duchamp de telle manière qu’il regarde obligatoirement vers le passé, posant un regard rétrospectif sur sa vie d’artiste et sur l’aventure de l’urinoir qui lui est intimement liée. L’espace entre ces deux objets représente, en toute logique duchampienne, le temps de cette aventure qui court de 1917 à 1969, et qui a permis à l’urinoir de faire son voyage dans le « monde de l’art » et d’atteindre la postérité promise. C’est donc bien une pendule, c’est-à-dire un objet qui mesure le temps, celui qu’il faut à un urinoir pour devenir l’œuvre paradigmatique de l’art d’une époque. La transsubtantiation de l’objet utilitaire en œuvre d’art, représentée par sa transformation en cette sculpture de gouttes, le mannequin féminin, que l’on voit en 1969, se nomme le  « renvoi miroirique » (A. B., p. 26-28).

Il nous est difficile d’être plus clair et de citer plus longuement le travail d’A. B. qu’il vaut mieux lire de bout en bout afin de comprendre à quel point il renouvelle « le point de vue » de l’œuvre de M. D. Why not Sneeze… rentre pleinement dans le dispositif duchampien. Elle annonce l’œuvre à venir Etant donnés… qui ne peut acquérir sa pleine signification qu’en renvoyant au Grand Verre comme A. B. le montre, de sorte que de cette manière seulement tout l’ensemble fera sens : comment faire en sorte qu’un objet usuel puisse devenir une œuvre d’art. WHY NOT SNEEZE ROSE SELAVY ?, en anglais, lu de gauche à droite, pose une question pour le moins saugrenue. Mais nous sommes loin de Dada, même s’il en épouse quelques traits pour mieux brouiller les pistes. La lecture inverse, de droite à gauche, au prix d’une lecture que M. D. lui-même nous invite à faire en utilisant ses propres outils verbaux et son propre concept de renvoi miroirique, nous donne non pas une réponse, mais bien deux dans une langue cible – sa langue natale – où les effets de miroir sont conservés  dans la lettre (anglais/français) comme dans les niveaux de sens :

IL VA LES ESSORER MINCE TON DIEU (M.D. s’adressant à lui-même)

et

IL VA LES ESSORER MINCE  TON NID ACHEVE (M.D. s’adressant à son double/à lui-même et à la mort-la postérité).

Dernier trait en effet d’humour noir, mais qui complète bien ce qui précède : comme le rébus matériel de « Why not Sneeze… » fait directement référence à sa propre mort (os de seiche), le « nid achevé »  peut aussi et doit en même temps signifier la future tombe de l’artiste car Rose Sélavy est Marcel Duchamp (« Rrose Sélavy alias Marcel Duchamp », note 214). « Il va les essorer mince ton tombeau ». La mort va en quelque sorte donner un plein accomplissement au travail d’essorage commencé au début de sa carrière… Tout le programme sera respecté à la lettre.

*

Certains lecteurs pourraient avancer qu’il s’agit là de pures coïncidences, tout étant dans tout et réciproquement, simples manipulations du langage où l’on peut finir par faire dire tout ce que l’on souhaite faire dire à un texte… S’il s’agit là de simples coïncidences, nous les trouvons bien nombreuses et bien cohérentes en si peu de mots, et quant aux éventuelles « manipulations du langage », l’auteur de Why not Sneeze… risque encore de nous en remontrer, quoi qu’on dise.

Nous rappelons simplement que chacun des mots « mis à nu » par notre transcription renvoie  à un objet, à un écrit, à un fait vérifiable ou à une pensée identifiée de M. D., il n’y a aucune « invention » ou projection de notre part : ESSORER – Porte-bouteilles, MINCE (Thin) – [Infra]-mince, DIEU – YHW, NID ACHEVE – allusion à l’objet cage d’oiseau initiale, l’installation concrète et terminée d’Etant donnés…, allusion à son propre tombeau (la cage définitive/la postérité), jusqu’à la dynamique induite par IL VA… (en 1921) qui projette la résolution de l’énigme dans l’avenir, mais dont la lecture se fait à reculons, rétrospectivement, comme M. D. l’a voulu.

Nos lecteurs seront-ils convaincus ? Nous n’avançons rien qui ne soit dans la lettre du texte et hors des procédés employés par l’artiste lui-même. Ces deux réponses ne pourraient-elles pas, sinon mettre un point final à l’énigme ô combien calculée, du moins éclairer sa résolution ?  WHY NOT ? Rêverie duchampienne et boustrophédoniste ?

A. Collet

 

 

11 novembre, 2013

EtANT DONNES : 1) ALAIN BOTON, 2) « MARCEL DUCHAMP PAR LUI-MEME (OU PRESQUE) », Fage, 2013.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 16:38

Alain Boton, Marcel Duchamp par lui-même (ou presque), Editions Fage, 2013 

Le Nu descendant l’escalier refusé au Salon des Indépendants en 1912 – naguère le nu académique « figé par excellence » était le symbole de la peinture ancienne – s’anime et se met à descendre de son piédestal pour aller à la rencontre de son double virtuel (alias son « renvoi miroirique ») Fontaine, objet lui-même refusé à l’exposition de l’Armory Show en 1917.

EtANT DONNES : 1) ALAIN BOTON, 2)

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici même dans mon Hommage à M. D., Boîte-en-catalogue, Le Mille et unième Item, 1912- 2012, pour le centième anniversaire de la non-exposition du célèbre tableau (page du 12/01/2012), cinq ans séparent ces deux « performances artistiques » confidentielles à l’époque mais par ailleurs unies dans le refus et l’opposition unanimes qu’elles déchaînent à leur encontre dans le milieu même de l’ART. Deux performances « négatives » unies et complices et lourdes et grosses de tous les développements de l’œuvre à venir, y compris et surtout de l’installation finale d’Etant donnés…, couronnement posthume « machiné » en secret par son auteur pour que nous ayons une vision rétroactive (et cohérente) de tout son parcours humoristique, intellectuel, spirituel, conceptuel et anartiste. Ces deux moins vont logiquement donner le plus à venir, la gloire définitive. Cette vision rétroactive, c’est M. D. lui-même qui nous y invite, comme le montre d’une manière étonnante, tant tous les éléments concordent, Alain Boton.

Car de 1912 à 1917, tout est déjà là, tout se met en place ; virtuellement tout fait, tout est fait ; la vie elle-même de M. D. sera sa troisième performance grandeur nature (et toujours controversée) aboutissant à la mise en place de l’installation secrète d’Etant donnés… , dans l’attente du grand dévoilement qui nous atteindra tous, pour peu que nous acceptions la démarche proposée par l’auteur de Marcel Duchamp par lui-même (ou presque). La résolution de l’énigme sera menée à son terme, mais sans la présence de son brillant concepteur, ultime pirouette et cacahuète lancée en direction des historiens et des tenants de l’ART majuscule.

Je viens de terminer une première lecture du livre fondateur d’A. B. qui va, je le crois, bousculer beaucoup d’auteurs et de lecteurs. Les « académiques » comme les simples regardeurs (dont je suis). Mais les trésors d’analyses, de réflexions et d’hypothèses produits par tous les exégètes officiels ou non – J. Clair, M. Décimo, D. Judovitz, A. Schwarz et bien d’autres – ne sont pas pour autant devenus du plomb. Ils restent le lest obligé de toutes les grandes études qui ont été conduites jusqu’à ce jour dans la perspective d’élucider le cas « hors norme » de l’aventure de M. D. que nous n’avons pas encore fini de découvrir même et peut-être surtout après la lecture du livre d’A. B. présenté comme un manuel, un mode d’emploi à l’usage des anciens regardeurs et des nouveaux découvreurs de l’œuvre sans égale. Je n’ai pas encore terminé ma seconde lecture, mais je pense néanmoins qu’il faut immédiatement faire connaître ce nouveau livre, quitte à revenir sur mes premières impressions et intuitions, les corriger ou les compléter.

Le livre se divise en deux parties dont la première s’intitule L’épanouissement en mise à nu par les célibataires, « la mystification du monde de l’art par Duchamp et son urinoir’ » (A. B.), où l’auteur montre comment le Grand Verre est une machine visant à faire passer un objet commun dans le monde de l’art : « Il suffit de combler le vide du Grand Verre… en bas à droite, par l’urinoir, pour qu’enfin la machinerie érotique se mette à fonctionner… Le Grand Verre ne devient compréhensible que grâce à l’urinoir ; et l’urinoir prend une autre dimension grâce au Grand Verre » (p. 6). « La transsubstantiation de cet objet utilitaire [l'urinoir] en œuvre d’art, représentée par sa transformation en cette sculpture de gouttes, le mannequin féminin, que l’on voit en 1969 [dans l’installation posthume de Philadelphie Etant donnés…], se nomme le « renvoi miroirique » (p. 28).

La seconde partie, Epanouissement en mise à nu imaginative de la mariée désirante est « l’exposition par Duchamp de ses expériences extatiques » (A. B.) dont le fondement est vraisemblablement l’expérience d’une « EMI », une Expérience de Mort Imminente telle qu’elle est décrite aujourd’hui par les médecins. Ces deux parties proposent une explication et une synthèse originales, complètes, denses mais cohérentes, de la démarche et de l’œuvre (matérielle et intellectuelle) de M. D. qui ont toujours semblé si provocatrices, protéiformes et absconses, trop « dadaïstes » en quelque sorte pour qu’on puisse un jour tirer quelque chose de « sensé » de ces tranquilles coups de force doublés de notes à peine plus compréhensibles qui s’éclairent pourtant aujourd’hui.

*

La lecture de ce livre a attiré mon attention sur le catalogue des œuvres de M. D. donné par A. Schwarz (Ready-mades, etc… (1913-1964), Le Terrain Vague, 1964), ouvrage dont on sait qu’il a été mis en page par M. D. lui-même et son galeriste comme cela est signifié au verso de la page de titre. Comme le montre bien A. B., tout ce que fait M. D. doit être regardé de près car tout prend sa place dans la toile d’araignée tissée par lui  jusqu’au dévoilement de l’œuvre posthume. Je ne sais pas si A. B. a eu ce livre entre ses mains, car il faut vraiment l’avoir entre les mains pour s’apercevoir que le dispositif abstrait de « la pendule de profil » mis au jour par A. B. (cf. le croquis p. 27 de son livre) se trouve réalisé, matérialisé et ainsi déjà dévoilé par la réalisation et l’iconographie du livre publié en 1964, soit quatre ans avant la mort de M. D., mais personne ne l’avait encore vu à ce jour.

Une jaquette illustrée recouvre le livre : sur le plat supérieur figure la reproduction de l’Obligation pour la roulette de Monte-Carlo (1924) représentant dans un médaillon la tête de Duchamp couverte de savon à barbe (dans la partie supérieure). Sur le plat inférieur de la même jaquette (en haut) figure A la manière de Delvaux (1942) où un buste de femme nue apparaît dans un miroir, le tout vu à travers une lunette.

1) L’Obligation qui se présente verticalement et figure un grand tapis vert de casino signifie le Grand Verre. Si vous retournez le livre, la reproduction de A la manière de Delvaux ne peut pas ne pas représenter ce qui apparaît à la vue dans l’œilleton de la porte de l’installation de Philadelphie Etant donnés… Dans la disposition et la relation matérielle des deux images, nous avons là mis en œuvre concrètement le dispositif abstrait mis au jour par A. B., dispositif qu’il nomme « la pendule de profil » du nom du pliage de M. D. (1964), pliage réalisé pour le livre de son ami Robert Lebel intitulé La Double Vue (!). Le tableau auquel fait référence M. D. pour A la manière de Delvaux s’appelle opportunément l’Aurore (1937) :  Etant donnés… que M. D. voulait que l’on voie après sa mort est marqué du signe de l’aurore. Le souhait ne manque pas d’ironie. Et que voulait-il que l’on voie aujourd’hui  ? : la reproduction de Fontaine spécialement conçue pour le plat supérieur de la reliure du livre, reproduction intitulée précisément pour cette occasion « renvoi miroirique » et se trouvant juste au-dessous de la jaquette. Tout concorde.

2) Mais il y a plus et cela vérifie matériellement encore – si c’était nécessaire – l’hypothèse que Alain Boton avance, même s’il s’appuie déjà sur des éléments vérifiables, autrement dit le titre (pour Fontaine), et la nature même de l’œuvre (pour A la manière de Delvaux). A. B. dit dans son livre (p. 56-57) à propos de cette version de Fontaine et du montage A la manière de Delvaux : « Si l’on juxtapose mentalement [c'est moi qui souligne] les deux images en superposant ce qu’elles ont de commun, en l’occurrence le fait d’être toutes les deux un « renvoi miroirique », on obtient un ensemble urinoir/renvoi miroirique/buste féminin. Nous sommes alors bien devant ce fameux système Wilson/Lincoln, à gauche l’urinoir, à droite le buste féminin. Le tout rassemblé par la notification dans les deux cas d’un « renvoi miroirique » : dans l’un, c’est une notification plastique (le miroir), dans l’autre, littéraire (le titre Renvoi miroirique) ». (Le système Wilson/Lincoln « est un petit procédé où deux images sont imprimées sur un papier plié en soufflet d’accordéon… de telle sorte que si l’on regarde de gauche à droite on voit le portrait du président Wilson, et si l’on regarde de droite à gauche, on voit le portrait du président Lincoln » (p. 56).

Si je me reporte maintenant à l’avant-dernière page du catalogue Duchamp, p. 67, que voit-on : le fac-similé d’une page reproduisant quatre photos d’œuvres de M. D. (Editions Trianon, 1959), fac-similé composé par M. D. lui-même. Les quatre images reproduites sont, de gauche à droite, en haut : A la manière de Delvaux et une représentation des « Neuf Tirés ou Trous », en bas : View (1945) et George Washington (Allégorie de genre) (1943). Rappel. A. B. : « Il suffit de combler le vide du Grand Verre… en bas à droite, par l’urinoir, pour qu’enfin la machinerie érotique se mette à fonctionner… Le Grand Verre ne devient compréhensible que grâce à l’urinoir ; et l’urinoir prend une autre dimension grâce au Grand Verre » (p. 6). La disposition de ces quatre clichés imite de manière explicite la disposition du Grand Verre et ce que l’on peut voir ici en bas à droite est précisément, matériellement, l’Allégorie de genre à l’effet Wilson/Lincoln avancé supra par A. B. pour sa démonstration où de fait l’urinoir vient maintenant se superposer, en renvoyant aussi à A la manière de Delvaux alias Etant donnés..., CQFD… Cette page du catalogue Duchamp apporte vraisemblablement la dernière preuve concrète à l’appui de la démonstration d’Alain Boton.

En effet, ce catalogue de la grande exposition rétrospective de l’œuvre de M. D. donnée par son galeriste en 1964 apparaît véritablement comme une somme et peut-être même comme le testament de M. D. qui profite de l’occasion pour « finaliser » en quelque sorte son projet. On ne peut pas ne pas se poser cette question quand on voit comment le volume fut construit et l’iconographie choisie et disposée.

On pourrait à juste titre poursuivre la démonstration en commentant le médaillon au portrait original de M. D. sur l’Obligation – image correspondant à A la manière de Delvaux à la fin du catalogue, mais cela nous entrainerait trop loin. Je renvoie (entre autres) à l’ouvrage de D. Judovitz (Déplier Duchamp : passages de l’art, P. U. du Septentrion, 2000) p. 165-172, pour signaler que la simple évocation du pari que l’artiste tire sur l’avenir nous suffit ici. Cet anartiste – ce sage, comme l’appelle Alain Boton – l’a gagné depuis longtemps.

Je possède un exemplaire de la Double Vue de Robert Lebel avec un envoi manuscrit de ce dernier : « A Jenny Linz ce livre enfin, vrai sans blanc (ni faux semblant) Robert Lebel ». Je me prends à rêver qu’il en est de même pour l’œuvre de Marcel Duchamp dont Robert Lebel fut le premier biographe. A la lecture du livre d’Alain Boton, et contrairement à ce que l’on aurait pu penser encore il y a peu, l’œuvre de Marcel Duchamp apparaît  aujourd’hui  « vrai[e] sans blanc », une œuvre dont la « vérité » va s’imposer sans zone « blanche »  susceptible d’échapper à une explication aussi cohérente que rationnelle. Tout le reste relève de l’art de la mise en scène, pour lui comme pour nous.

A. C.

 

 

 

22 janvier, 2013

R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 19:44

 

 LOUISE LABE / RAINER MARIA RILKE, 1942

  R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie. labe2-0011

Die vierundzwanzig Sonette der Louïze Labé, Lyoneserin, 1555,

Ubertragen von Rainer Maria Rilke, Im Insel-Verlag Zu Leipzig, 1942, 18, 5 cm.

 

Les 24 sonnets de la poétesse lyonnaise Louise Labé (v. 1524 – 1566)  traduits en allemand par le grand poète d’origine autrichienne Rilke (1875 – 1926) ont été édités pour la première fois en 1917 chez le même éditeur. Il peut sembler « réconfortant » de voir qu’un éditeur allemand ait pu livrer un recueil de poésie au beau milieu de la première boucherie mondiale, comme s’il pouvait, à lui seul, faire un léger contrepoids à la barbarie humaine. Il est tout aussi « désolant » de dire l’inverse, et de constater que la plus haute culture, une fois de plus, n’a rien pu empêcher…

Il en est de même en 1942, et plus tragiquement encore, si l’on peut dire,  à propos de cette jolie plaquette imprimée sur beau papier. L’Europe est à nouveau à feu et à sang, les camps d’extermination des juifs fonctionnent, la Russie est envahie par les hordes nazies, et il se trouve encore en Allemagne des lecteurs susceptibles de lire des poèmes d’amour français du XVIe siècle traduits en allemand par un autre poète qui fut l’honneur de la langue germanique.

Culture et barbarie / Barbature et culturie.

 ***

Sonnet XVIII

Baise m’encor, rebaise moy et baise :

Donne m’en un de tes plus savoureus,

Donne m’en un de tes plus amoureus :

Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.

 

Las, te pleins tu ? ça que ce mal j’apaise,

En t’en donnant dix autres doucereus.

Ainsi meslans nos baisers tant heureus

Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.

 

Lors double vie à chacun en suivra.

Chacun en soy et son ami vivra.

Permets m’Amour penser quelque folie :

 

Tousjours suis mal, vivant discrettement,

Et ne me puis donner contentement,

Si hors de moy ne fay quelque saillie.

 

 

18 novembre, 2012

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 9:04

 

Marcel Duchamp traducteur d’Eugène Znosko-Borovsky.

Du jeu [d’échecs] intellectuel « s’exprimant en œuvres d’art ».

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946 zb-0014

Troisième édition, 1946 (19 cm).

Ce classique de la littérature échiquéenne fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

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Du jeu d’échecs « s’exprimant en œuvres d’art »

Eugène Znosko-Borovsky, Comment il faut commencer une partie d’échecs . Troisième édition revue et augmentée. Version française de Marcel Duchamp. Lille, Yves Demailly Editeur, 1946 (Les « Comment » de l’échiquier n° 2).

Ce classique de la littérature échiquéenne d’Eugène Znosko-Borovsky fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

Dans l’introduction, page 7, nous pouvons lire :

« Le jeu mécanique d’hier fait place au jeu des valeurs : les cases, les pièces varient dans leur importance. Tout se met en mouvement, le côté matérialiste du jeu est dominé par l’esprit… Il en est de même des coups : celui qui ne fait pas partie d’une suite doit être un coup faible ; un coup en apparence faible devient fort s’il prélude à une suite de manoeuvres qui le justifient. Les échecs en arrivent ainsi à perdre tout caractère mécanique ; l’idée domine ; le jeu intelligent est devenu un jeu intellectuel s’exprimant en oeuvres d’art.

C’est pour vous initier à ce nouvel art que je vais maintenant vous expliquer les divers débuts. N’est-ce pas là en effet le plus difficile, comme le sont les premières notes de musique ou les premières leçons de dessin ? ».

C’est nous qui avons souligné la phrase en italique. Quand on connaît les propos de M. D. sur la nature « artistique » du jeu d’échecs, nous devons nous poser la question de savoir si M. D. s’est « seulement » inspiré de notions dont Z.-B. fut « l’inventeur », ou qui plutôt avaient déjà cours dans le monde des échecs à l’époque - notions alors normalement ici reproduites par l’auteur dans son texte, ou si nous avons affaire à une « adaptation » propre au traducteur qui enrichit ainsi notablement le sujet et la façon d’appréhender ce jeu.

Hubert Damisch, en 1977, au Colloque de Cerisy sur M. D., relève bien dans sa communication que M. D. a traduit et publié le texte de Z.-B. « dans une version française qui lui doit certainement beaucoup de son style », mais il ne parle pas du problème que nous soulevons. (« La défense Duchamp », in Marcel Duchamp : tradition de la rupture ou rupture de la tradition ?, Dir. J. Clair, 10/18,UGE, 1979)).

Dans l’ouvrage Marcel Duchamp Artist of the Century (R. Kuenzoli , F. M. Naumann éd., MIT Press, 1996, 4e éd.) l’ouvrage de Z.-B. est cité de la façon suivante , plus directe : « Original french version rewritten by Duchamp (Paris, Cahiers de l’échiquier français, 1933 (3e éd. 1946) ». La réécriture est clairement nommée.

Rappelons enfin que Alexandre Alekhine (1892-1946), dont Marcel Duchamp fut proche, avait lui-même déclaré : « Un maître d’échecs remarquable et talentueux n’a pas seulement le droit, mais aussi le devoir de se considérer comme  un artiste » (www.europe-echecs.com/art).

 

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

Ces quelques lignes non citées dans les principaux ouvrages sur M. D., sauf erreur ou omission de notre part – sont à mettre en regard de la déclaration devenue célèbre de M. D. lors d’un banquet de l’Association d’Echecs de l’Etat de New York en août 1952 (où nous retrouvons aussi par ailleurs les thèmes du dessin et de la musique) :

« Objectivement, une partie d’échecs ressemble beaucoup à un dessin à la plume, avec cette différence que le joueur d’échecs peint avec les formes blanches et noires déjà prêtes [allusion au readymade…], au lieu d’inventer des formes comme le fait l’artiste. Le dessin ainsi élaboré sur l’échiquier n’a apparemment pas de valeur esthétique visuelle, et ressemble d’avantage à une partition de musique, qui peut être jouée et rejouée. Dans les échecs la beauté n’est pas une expérience visuelle comme en peinture. C’est une beauté plus proche de celle qu’offre la poésie ; les pièces d’échecs sont l’alphabet majuscule qui donne forme aux pensées ; et ces pensées, bien qu’elles composent un dessin visuel sur l’échiquier, expriment leur beauté abstraitement, comme un poème. En fait, je crois que tout joueur d’échecs connaît deux plaisirs esthétiques mélangés : l’image abstraite apparentée à l’écriture, et le plaisir sensuel de l’exécution idéographique de cette image sur l’échiquier. Mes contacts étroits avec les artistes et les joueurs d’échecs m’ont induit à conclure que, si tous les artistes ne sont pas des joueurs d’échecs, tous les joueurs d’échecs sont des artistes. » (Cité dans : A. Schwarz, Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu chez Marcel Duchamp, même, Ed. G. Fall, 1974, p.

Il est intéressant de signaler aussi , par rapport à l’image de la musique évoquée par M. D. lors de cette déclaration de 1952, ces passages extraits du roman de Vladimir Nabokov,  La défense Loujine,  publié en russe en 1930, traduit en français en 1934  (texte contemporain de la traduction-adaptation de M. D.) :

« Quel jeu, quel jeu ! dit le violoniste, en refermant soigneusement le coffret [d’un jeu d’échecs]. Des combinaisons pareilles à des mélodies. Je crois entendre pour ainsi dire la musique des coups… – A mon avis, pour jouer aux échecs, il faut être doué pour les mathématiques, dit Loujine père, et moi, ce n’est pas mon fort… On vous attend, maître  »    ( Edition Folio, 2013, p. 49).

[---]

« Turati se décida enfin – et aussitôt une sorte de tempête polyphonique se déchaîna sur l’échiquier. Loujine y cherchait avec opiniâtreté la petite note dont il avait besoin pour en tirer, à son tour, en l’amplifiant, un tonnerre d’harmonies. Maintenant l’échiquier respirait la vie, tout y était concentré sur un point déterminé, tout s’y resserrait de plus en plus ; la disparition de deux pièces apporta une accalmie passagère, puis éclata un nouvel agitato » (p. 153).

De 1934 à 1952, Marcel Duchamp n’a pas pu ne pas prendre connaissance du roman de Nabokov. Mais il a peut-être profité aussi d’une autre façon de la lecture de ce roman. Peut-être lui a-t-elle directement inspiré l’idée de la création du « Jeu d’échecs de voyage », ready-made rectifié (1943-1944). En effet, ce jeu apparaît vers la fin du roman de Nabokov :

« Ce n’était pas un calepin, mais un petit échiquier pliant en maroquin.  Loujine se souvint aussitôt que cet objet lui avait été offert dans un club parisien – tous les participants au tournoi en avaient reçu un semblable, à titre de publicité ou peut-être en souvenir. Sur les côtés de l’échiquier il y avait, dans des cases, de petites pièces de celluloïd pareilles à des onglets, dont chacune représentait une figurine. Elles étaient placées de telle façon que la partie pointue de chacune s’insérait dans une petite fente sur le bord extérieur de chaque case, tandis que la partie arrondie, représentant une figurine, s’appliquait contre la case. Tout cela – le petit échiquier blanc et rouge et les jolis onglets en celluloïd – était élégant et soigné ; et il y avait encore, sur le bord horizontal de l’échiquier, des lettres imprimées en or et, sur le bord vertical, des chiffres également dorés… » (p. 239-240).

La description correspond parfaitement au ready-made de Duchamp. La rectification a consisté à remplacer sur l’objet manufacturé les pièces originales par ses propres pièces imprimées sur celluloïd (Voir : « L’échiquier de Marcel Duchamp », patrimoine-echecs.tpgbesancon.com) ; ou F. N.M. Naumann, Marcel Duchamp, L’art à l’ère de la reproduction mécanisée, Hazan, 1999, p. 158). Il est curieux de voir que la source vraisemblable de l’idée de cet objet rectifié n’ait pas été avancée dans la somme si érudite de Naumann.

*

A l’origine simulation « ludique » de « l’art de la guerre », le jeu d’échecs acquiert peu à peu à son profit le prestige accordé à un « art » à part entière. Le rapprochement avec la partition musicale existait aussi à l’époque de la déclaration d’Alekhine (cf. le roman de Nabokov). Marcel Duchamp a donc su exploiter de la façon que l’on sait des idées, des notions qui avaient déjà cours dans le monde des échecs et même dans le domaine littéraire. C’est bien la pensée singulière et le parcours  iconoclaste de Duchamp « artiste » et grand joueur d’échecs qui ont donné à ces notions la force et la résonance qu’elles ne pouvaient pas manquer d’avoir dans le profond bouleversement qu’il a lui-même provoqué au début du XXe siècle au sujet de la définition même de « l’Art ».

***

 

Le Grand Rêve

 

Roi et Reine conjugués

Les deux figures natives

 De l’unité retrouvée

*

Les deux figures actives

A l’essence retournées

 Roi et Reine conjugués

*

O Grands Couples malmenés

Homme et Femme – Blancs et Noirs

 En quête d’éternité

 *

Rois et Reines animés

Sur le plateau du désir

 Tel un grand rêve brisé

 

 A.C.

2 juin, 2012

Lire « La Méduse » de Bruno Henri Labeaume, Editéal, 2012.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 21:58

 

Lire

Bruno Henri Labeaume, La Méduse, Editéal, 2012, 308 p.

D’un univers carcéral à l’autre – au sens propre comme au sens figuré, Bérengère Lemoine incarne le légitime désir  de bonheur et de réussite ; peut-être a-t-elle une chance de réussir. Mais non, la fiction, dont nous ne donnerons que le point de départ, ne tardera pas à nous prouver le contraire. De chapitre en chapitre une tension se met en place, par paliers, et le malaise s’installe progressivement. Des situations étranges et les rebondissements qui en découlent vont ponctuer l’intrigue et nous ne saurons pas jusqu’au dernier instant quel sera le dénouement.

Enseignante dans une prison pour femmes, l’héroïne est en quête d’amour et de sens. Elle s’éprend d’une détenue, Théodora. Bérengère a « un complexe » qui l’empêche d’aimer son propre corps : « Elle préférait aimer le corps des autres ». Ce désir d’amour se double d’une quête spirituelle car Bérengère fréquente les mouvements dits de « recherche spirituelle », ce qui montre qu’elle est insatisfaite, aussi, des capacités de son propre esprit pour conduire de façon autonome sa vie. De cette fréquentation, elle découvre peu à peu le risque d’enfermement, les ambiguïtés et les manipulations. Fragile, elle n’est pourtant pas isolée, elle a de longues discussions à ce sujet avec son ami Auguste Sperandio qui fait précisément une étude de ces mouvements.

Mais une autre détenue, jalouse, la Méduse, veille. Elle est « comme un danger permanent », la figure de l’angoisse, de l’énigme, du trouble généralisé. « Il n’y avait rien à dire quand la Méduse était en colère. Surtout ne rien dire. La Méduse continuait son monologue. Elle continua pendant une heure, à voix de plus en plus basse, avec des mots de plus en plus durs ». Théodora meurt d’une manière tragique. Bérengère, bouleversée, décide de partir en voyage. Elle rencontrera les hommes au ventre jaune, les vieillards éveillés et les hommes-panthères… Elle reviendra même des enfers, un espace digne du panneau de Jérôme Bosch, entre Dante et Sade. Rêves diurnes,  fantasmes nocturnes, univers parallèles où l’utopie et le monstrueux côtoient la réflexion, la satire et l’ironie ? Peu importe, c’est le cheminement de la fiction au fil des lignes qui compte, et notre propre désir de connaître « la fin de l’histoire ».

Dans ce monde d’illusion, La Méduse  met en scènes le douloureux secret de polichinelle qui nous fait tous languir. L’auteur les porte à bout de bras pour nous protéger de son terrible regard.

Bruno Henri Labeaume est aussi un musicien de talent qui pratique en tant que pianiste la musique de chambre.

L’adresse web du Trio Organdi est la suivante : www.wix.com/trioorgandi/fr

6 mars, 2012

« Ne sois jamais sans vert au mois de mai Hélène »

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 10:06

 

 Ne sois jamais sans vert au mois de mai Hélène

 

Recueil des plus beaux vers de Messieurs de : Malherbe, Racan, Maynard, Bois-Robert, Montfuron, Lingendes, Touvant, Motin, Lestoile, et autres divers auteurs. – Paris, Toussainct Du Bray, 1629. – 8°. Reliure parchemin.

Edité dès 1609, ce volume est un des pricipaux recueils de poésies du 17e siècle. Plusieurs fois édité, remanié, augmenté, il contient les vers de nombreux  poètes célèbres en leur temps comme Malherbe, Racan, Maynard… mais aussi de nombreuses pièces d’auteurs peu connus ou quasi inconnus aujourd’hui mais dont certaines méritent pourtant toujours notre attention, tel ce sonnet du Sieur Dumay (1585-1649) :

 

Du-May-0013

 

Sonnet

 

Amour n’est rien qu’un Ciel, où chaqu’un voit sa belle,

Amour n’est qu’un Enfer, où nos coeurs sont gesnez,

Amour n’est rien qu’un Dieu, qui nous rend fortunez,

Amour n’est qu’un Démon, qui nos ames bourrelle.

 

Amour n’est rien qu’un Jour, qui nos ans renouvelle,

Amour n’est qu’une Nuit, qui nous rend forcenez.

Amour n’est rien qu’un feu, duquel nous sommes nez,

Amour n’est rien qu’un froid, d’où notre sang se gele.

 

Amour n’est que la Vie & le repos de tous,

Amour n’est que la Mort, qui couve dedans nous :

Que dis-je ? non, l’Amour de tant de maux suivie

 

N’est qu’Enfer, que Démon, que Nuit, que froid, que Mort ;

Mais helas ! Je me trompe, Amour je te fais tort :

Tu n’es que Ciel, que Dieu, que Jour, que Feu, que Vie.

 

Paul Dumay, seigneur de Saint-Aubin, magistrat, né en 1585, est reçu au Parlement de Dijon le 4 mai 1611. Il meurt dans la même ville en 1649.  Descendant d’une famille originaire de la Beauce, il naquit à Toulouse où son père avait été médecin (de la faculté de Montpellier). Dans son oeuvre modeste (en français et en latin), on peut relever Les Lauriers de Louis le Juste [Louis XIII], roi de france et de Navarre (70 p., Paris, 1622), texte conservé à la Bibliothèque Nationale. Sa participation à ce Recueil des plus beaux vers… , qui consiste en deux sonnets, n’est pas relevée dans les anciennes bibliographies. Le second sonnet est le suivant :

 

Sonnet 

 

L’Homme n’est rien qu’un mort, qui traine sa carcasse,

L’homme n’est rien qu’un ver, qui de la terre nait,

L’homme n’est rien qu’un vent, qui soufle un petit trait,

L’homme n’est rien en soy, qu’un songe qui se passe.

 

L’homme n’est rien qu’un ombre, aussi tost il trépasse,

L’homme n’est rien, qu’un rien, que nommer on ne sçait,

Mais quoy Rien ? non, car l’homme est un estre parfait ;

Quoy, qu’Ombre ? non, car l’homme est un corps qui tient place.

 

L’homme n’est pas un songe, ains un esprit vivant.

Est-il vent ? non, mais Ame en compas se mouvant :

L’homme n’est pas un ver, mais du grand Dieu l’image.

 

Et moins est-il un mort, puisqu’il souspire bien : 

Qu’est-il doncques ? il est en son pelerinage, 

Un Mort, un Ver, un Vent, un songe, un Ombre un Rien.

 

Les images, tout comme  l’expression, sont représentatives de cette délicate et tourmentée période de transition, à la recherche d’un nouvel équilibre, appelée « baroque », entre la fin des guerres de religion et le début du règne personnel de Louis XIV…

 

***

Ne sois jamais sans vert au mois de mai Hélène est une adaptation personnelle du « Je vous prends sans vert », formule d’un jeu qui donna son titre à une comédie en un acte, en vers, de La Fontaine, représentée pour la première fois le premier mai 1693.

Il s’agit d’un ancien jeu de société qui remonterait au 13e siècle, où quiconque – au mois de mai - était pris sans un rameau de verdure (fraîche) sur lui (donc sans « Vert ») était passible d’un gage. « Etre pris sans vert » a ainsi pris le sens de  »être pris au dépourvu ».

Mais vivre sans vers, être pris sans vers, sans lire des vers… , nous condamne bien plus encore aujourd’hui  au dépourvu, beaucoup plus que nous ne pouvons le penser ou l’imaginer…

 

16 janvier, 2012

THOMAS DE THONON et son « Traité d’hygiène » (1286).

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 15:31

 Connaissez-vous le premier auteur d’origine savoisienne ?

 

THOMAS DE THONON et son

Thomas de Thonon. – Trairé d’hygiène (1286), traduit pour la première fois en français moderne par A. Collet ;  suivi de la deuxième édition revue et complétée  du texte en ancien français. – Sabaudiae Dicatus, 2010. – 20 cm.

 Premier auteur d’origine savoisienne connu à ce jour, Thomas de Thonon est aussi le premier, médecin et versifieur, a avoir rédigé directement en français et en vers, son poème scientifique.

Le volume qui contient la présentation de l’auteur et de son oeuvre, le texte de la traduction en français moderne et le texte en ancien français peut être consulté dans toutes les grandes bibliothèques publiques (dont les bibliothèques universitaires). 

12 janvier, 2012

HOMMAGE A MARCEL DUCHAMP. Boîte-en-catalogue, 1912-2012.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 8:20

BOÎTE-EN-CATALOGUE, Le Mille et unième Item, 1912-2012

d’après M. Duchamp

 Le scandaleux Mille et unième Item

ou le premier centenaire de la non-exposition du Nu descendant l’escalier

 HOMMAGE A MARCEL DUCHAMP. Boîte-en-catalogue, 1912-2012. BEC2-0011-187x300

Catalogue de la 28e exposition de la Société des Artistes Indépendants, Paris, 1912, 17, 5 cm.

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 Ce catalogue met sous les yeux du public, pour la première fois, le titre d’une oeuvre révolutionnaire qui, refusée,  ne sera pas exposée :

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Il s’agit du fameux mille et unième item conservé aujourd’hui au musée de Philadelphie : Nu descendant l’escalier (sic), maintenant appelé : Nu descendant un escalier n° 2

Comment un nu, et un tel nu, peut-il descendre l’escalier ?… Quel escalier ? Celui de l’atelier du peintre ?  L’escalier que chacun connaît dans son environnement particulier et que chacun peut rappeler à son esprit ?

Ce tableau présenté pour la première fois par le peintre fut refusé par le comité organisateur car le sujet comme le titre ne répondaient pas aux attentes – aux préjugés !… - des autres artistes cubistes qui se voulaient pourtant des novateurs face au salon officiel…

Marcel Duchamp préféra le retirer plutôt que de changer le titre et  les visiteurs ne pourront alors voir ce tableau que par les caractères de son titre imprimé : « Nu descendant l‘escalier » et non pas « Nu descendant un escalier » titre inscrit (peint) dans le tableau par son auteur (en bas à gauche). Déjà la coquille typographique (vraisemblablement) introduisait un peu de « jeu » dans le(s) caractère(s) de la représentation…

*

A travers cet événement, Marcel Duchamp inaugurait là, sans le savoir, une forme de  » performance artistique « , la première du genre,  la seconde et la plus connue étant les circonstances du refus de la fameuse Fontaine  de 1917 (urinoir signé disposé horizontalement), oeuvre proposée à la première exposition de la Société Américaine des Artistes Indépendants à New York où Duchamp résidait alors. La Fontaine originale a d’ailleurs disparu et il n’en reste plus aujourd’hui qu’ une photographie d’Alfred Stieglitz. La non-exposition fut alors l’objet d’une grande polémique relative à la nature de ce qui relève, ou non, de l’art. La polémique est toujours d’actualité.

Duchamp est le premier artiste à faire de la non-exposition d’une oeuvre une performance artistique  de sorte que, « rétroactivement », la première non-exposition du Nu de 1912 acquiert aujourd’hui le même « statut » ; les documents qui précèdent, accompagnent ou survivent à l’oeuvre – ici le catalogue avec le titre imprimé, là une photographie – font désormais partie, à leur façon,  de l’oeuvre. 

C’est à partir du premier refus à son encontre que l’artiste controversé va progressivement passer de l’autre côté du miroir de l’Art…

Deux exemplaires de ce « multiple » sont aujourd’hui conservés à Paris dans des institutions publiques, l’un à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (où Marcel Duchamp  travailla en 1913-1914), l’autre à la Bibliothèque des Arts décoratifs.

*

Je suis surpris de voir que ni Marcel Duchamp, ni l’un de ses nombreux exégètes n’ont jamais relevé, sauf erreur ou omission de ma part, cette rencontre entre le n° 1001 et la première mention imprimée du Nu descendant l’escalier. Je pense que cette coïncidence – peut-il en être autrement ? – aurait amusé Duchamp, lui qui s’est beaucoup intéressé aux nombres, notamment pendant la période de la conception du ready-made Obligations pour la roulette de Monte-Carlo (1924).

Duchamp voulait « dessiner sur le hasard » et la loterie du hasard le lui rend bien… en lui attribuant le n° 1001 pour son tableau : le n° 1001, le nombre figuré pentagonal en relation avec le mythique « nombre d’or » que l’on retrouve dans toute forme pentagonale et dans l’étoile à cinq branches. Un nombre, un numéro en quelque sorte frappé du sceau de l’étoile. Par ailleurs, autre coïncidence, le tableau du Nu interdit d’exposition au printemps sera réintégré à l’automne au Salon dit « de la Section d’or », la bien nommée…

Comment ne pas rêver immédiatement à la comète de « l’enfant-phare » reportée sur la tête elle-même du respirateur où une tonsure volontaire de l’occiput reproduit une étoile ou plutôt une comète avec sa queue de lumière dirigée vers l’avant, figure pionnière du Body-Art fixée sur la pellicule par Man Ray (Tonsure, 1919) ?

Duchamp a-t-il pensé que le numéro d’ordre de son premier et scandaleux tableau lors de cette première non-exposition avait une relation poétique directe avec l’étoile ? Duchamp, l’homme » né coiffé » d’une étoile à l’occiput, la même étoile qui, au front, allait douloureusement blesser son ami Apollinaire. Les étoiles ne sont décidément pas toutes de la même lumière.

L’art a-t-il besoin d’une « excuse biologique » ? Quoi que l’on pense de l’art, il ouvre une large fenêtre sur l’imaginaire. Il est vrai qu’à trop se pencher à cette fenêtre,  l’homme peut basculer et aller jusqu’à faire disparaître la moindre de ses qualités, celle, selon Duchamp,  d’artiste présumé. Le Mille et unième Item : fin d’un cycle, commencement d’une ère nouvelle. Sans le vouloir et sans le savoir, Marcel Duchamp démarrait bien là sa « carrière » en fanfare…

*

Hommage à Marcel Duchamp. BOÎTE-EN-CATALOGUE, Le Mille et unième Item, 1912-2012, d’après M. Duchamp.

Boîte au couvercle à rabat de 21, 2 cm de hauteur, 13, 8 cm de largeur et 4 cm de profondeur contenant un exemplaire du Catalogue accompagné d’une reproduction couleur du tableau Nu descendant un escalier n° 2.

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 Le Mille et unième Item

Impression vision nouvelle

Marches de la MoDernité, même

A.C.

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