L’image du livre dans le livre aux 17e et 18e siècles.
Dans la bibliothèque du savant et de l’érudit
Lettres choisies de feu Mr Guy Patin Docteur en médecine de la Faculté de Paris, & Professeur au Collège Royal… – A Cologne : chez Pierre Du Laurens, 1691. – 12°. (3 vol.).
Frontispice gravé sur cuivre en tête du premier volume de ces Lettres.
Guy Patin, médecin et homme de lettres (1601-1672), est connu aujourd’hui par la correspondance qu’il a entretenue avec les principaux savants de son époque.
Sa verve et sa liberté de ton sur tous les sujets abordés font de lui un philosophe « libertin », c’est à dire libre de tout préjugé. Ainsi : « La Cour est une belle putain qui donne bien souvent à ses amoureux des cassades [mauvaises excuses, défaites] & de belles espérances. Pour moy j’aime bien mieux mes livres qui font ma tranquillité plus sure, & qui feront peut-être celle de mes enfans. Il est vray que je n’en seray pas plus riche : mais aussi, j’en auray moins d’inquiétude » (Lettre CIII, 22 février 1656). Et encore, L. CXVII, 9 avril 1658 : « Je pense que de tout tems on a trompé le monde sous prétexte de Religion. C’est un grand manteau qui affuble bien des pauvres & sots animaux. »
Guy Patin avait une belle bibliothèque d’environ 10 000 volumes. Il semble que ce soit lui le premier qui ait employé le terme de « bibliomanie » : « A propos de Livres, voulés-vous bien me faire la grace de m’acheter à Lyon les Livres dont je vous envoye la note. Ma Bibliomanie vous fait souvent de la peine ; peut-être que je serai plus sage & plus supportable l’année qui vient. » (Lettre LXXXIII, 1er mai 1654).
La gravure représente ici le savant ou l’érudit dans son cabinet de travail, entouré de tous les livres qu’il a lus ou écrits. Les volumes tapissent les deux murs de l’espace ici représenté. Ce sont des livres pour la plupart du grand format dit « in folio », de gros livres qui sont les sommes du savoir passé et présent. C’est une image conventionnelle de l’auteur en majesté assis à sa table de travail où l’on voit une écritoire portant une feuille de papier déjà écrite, un carnet et un encrier avec sa plume. Cette image est elle-même l’écho lointain des représentations des quatre évangélistes peintes dans les manuscrits médiévaux.
Une clochette et un sablier figurent aussi sur la table. Le sablier est un rappel du temps qui passe, le signe discret d’une « vanité » qui rappelle à l’homme, quel qu’il soit, sa condition de mortel, même si l’auteur célébré tient sur ses genoux le livre qui lui permet de passer à la postérité. Le rideau peut être un rappel du voile du Temple de Jérusalem qui cachait le Saint des Saints ; il n’est pas aujourd’hui déchiré dans une perspective eschatologique mais simplement tiré à droite pour laisser apparaître les nouvelles connaissances profanes livrées aux lecteurs avides de savoirs. Symbolique ou décoratif, il souligne le caractère théâtral de la mise en scène.
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Dans la boutique du libraire
Le Petit Paroissien, contenant l’Office complet des dimanches et fetes… En Latin & en François. Selon l’usage de Paris & de Rome. En 4 volumes. Partie du Printemps. – A Paris : chez Louis-Guill. de Hansy, sur le Pont au Change, à S. Nicolas, [1768]. – 12°.
Frontispice gravé sur cuivre en regard de la page de titre imprimée.
Sous l’Ancien Régime, le libraire était souvent éditeur. Nous ne voyons ici que la boutique de vente de l’entrepreneur. Le nom et l’adresse de l’éditeur figurent dans un cartouche dans la partie inférieure de la représentation. Cette image publicitaire répète, en les illustrant, les mentions déjà imprimées sur la page de titre : le nom, le lieu, l’enseigne de saint Nicolas ; elle les complète en ajoutant la nature des livres proposés et les titres de quelques nouveautés (sous l’image).
La mention de vente de livres religieux sur le Pont au change n’est pas un hasard. Le Code de la librairie de 1744 souligne que le périmètre réservé, à Paris, aux boutiques des libraires, est le quartier de l’Université et l’intérieur du Palais de la Cité. En dehors de ce périmètre, aux environs du Palais, sur le parvis de Notre-Dame, sur le Pont au change et le quai de Gesvres, ne pourront être vendus par les libraires que des heures, des petits livres de prières, des édits, des déclarations et des arrêts. Il s’agissait bien entendu, pour le pouvoir royal, de contrôler au plus près la production et la vente des livres.
L’image fait coexister en les juxtaposant de manière fictive l’espace intérieur, l’intérieur du magasin, au premier plan, et l’espace extérieur, une représentation partielle du pont surmonté de ses bâtisses, visible en perspective au second plan par une ouverture monumentale. On discerne trois barques sur le fleuve.
A l’intérieur, de chaque côté, les rayonnages chargés de livres qui paraissent tous identiques montent jusqu’au plafond. La petitesse de la représentation permettait difficilement une individuation. On distingue cinq personnages, deux employés, un homme et une femme derrière les banques et trois clients. Un ecclésiastique assis à gauche sur une banquette, un livre sur les genoux, tourne la tête en direction de l’employé tourné, lui, vers les étagères ; en face, l’employée tenant un livre en main s’adresse à une jeune dame assise sur un fauteuil ; derrière elle, sur une sorte de tabouret, un homme en perruque consulte un livre.
L’impression générale donnée par la gravure est celle d’un magasin calme, spacieux, bien achalandé, où les employés sont au service des clients qui peuvent faire leur choix en prenant leur temps tout en étant bien installés pour consulter les ouvrages. Il s’agit d’une image publicitaire qui, sans être mensongère, est vraisemblablement assez idéalisée.