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30 septembre, 2013

Les jeux de mots mis à nu par leur locataire, même (Suite Marcel Duchamp).

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Sur Les jeux de mots mis à nu par leur locataire, même,

ou

Portrait du ready-made en trope  dé-joué

(Suite Marcel Duchamp)

L’immanence est à l’imminence ce que le jeu de mots est à son paroxysme (et inversement) : le jeu de mots est au paroxysme ce que l’immanence est à l’imminence.

Soit

la matière du jeu de mots est inhérente à l’être (du langage, immanence) mais son sens est à jamais imminent…  et différé (d’où la tension propre à cette forme de paroxysme),

ou encore

l’immanence est à l’imminence ce que paronyme est à paroxysme…, etc. etc…

 Ce qui revient à dire, dans le cas de Marcel Duchamp :

la matière (quelle qu’elle soit) de l’œuvre d’art est inhérente à l’être - du monde, de l’homme, du langage, immanence donc (« Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art », travaux d’assemblages matériel, lexical ou musical… ) mais son sens profond, éminent, est à jamais dé-joué et pour tout dire parodique (d’où la tension propre à l’exercice…), etc. etc…

Apostille n° 1 : « Il y a dans l’écriture comme une sorte d’être-là qui déjoue, qui absente l’interprétation. Alain Robbe-Grillet ».

Apostille n° 2 : « Les gags profonds de Duchamp font de toutes les formes  un potentiel et un accident esthétiques, une occasion, parfaitement arbitraire, de beauté, de pathos ou de terreur dans l’œil secoué du spectateur. Aucune œuvre dite d’art ne devrait être assurée de son respect ou de son repos. C’est dans un salut fraternel et taquin à l’adresse de Léonard de Vinci – Duchamp a le rire précis – qu’il ajouta une moustache à Mona Lisa » (Georges Steiner, Grammaire de la création, Folio essais, 2008).

Apostille n° 3 : Sur « l’activité artistique [qui] dans l’avenir sera une activité ludique » voir la référence à Kostas Axelos in : M. Duchamp, A. Schwarz, Ready-mades, etc. (1913-1964) , Le Terrain Vague, 1964, p. 18, note 2.

***

Sur la Boîte verte

 A propos de la « Boîte verte » (1934), il faut attirer l’attention des regardeurs sur un point qui ne semble pas avoir été relevé par les exégètes (sauf erreur ou omission de notre part).

En effet, le titre inscrit au poinçon sur la suédine verte de la boîte est une idée certes originale de M. D. mais qui correspond en fait au procédé de la dorure à chaud en pointillé du titre sur certaines reliures d’art (« de luxe ») des années 20 et 30. Par exemple, la reliure de Daphné d’A. de Vigny réalisée par Pierre Legrain : le titre est porté de cette manière sur une reliure en maroquin mosaïqué aux tons gris, noir et vert, précisément. Or, Mary Reynolds, qui fut la compagne de M. D. pendant près de vingt ans, relieuse et collectionneur d’art, apprit l’art de la reliure auprès de Pierre Legrain. Le lien est donc bien établi. On sait que M. D. lui-même est à l’origine de la conception de certaines reliures.

Détail peut-être…, mais qui a toujours son importance avec Duchamp dans la manière qu’il a de détourner ou de « retourner » les idées reçues ou non, les pratiques, les usages… auxquels nous pouvions nous attendre. Même avec du « vide », Marcel Duchamp arrive à faire le « plein » de son titre… , et « l’or »  de son œuvre…

 

 ***

Thème et  variation sur l’ Air de Paris

Les jeux de mots mis à nu par leur locataire, même (Suite Marcel Duchamp). air-de-paris1

 

« Mis en Boîte et distribué… par Gadluco, 69 bd Saint-Michel, 75005 Paris… Important : Ne pas ouvrir, contenu irremplaçable… « , s. d. (10, 5 cm x 6 cm x 1, 8 cm).

Le ready-made original homonyme de Marcel Duchamp date de 1919. Il  fut diffusé sous forme de carte postale à partir de 1937. Pseudo renvoi miroirique détourné en boîte de conserve à caractère humoristique et commercial, ici « Air de Paris » comme on dirait ailleurs « Feu courbe », ou « Eau de Lourdes ».

Post-scriptum

A propos d’Air de Paris, nous ne pouvons pas ne pas  rappeler le passage suivant situé à la fin de l’ouvrage d’Yves Michaud, L’Art à l’état gazeux (Pluriel, 2010), où la notion de jeu trouve toute sa place.

« … je suggère que l’art n’est plus la manifestation de l’esprit mais quelque chose comme l’ornement ou la parure de l’époque. De l’œuvre autonome et organique, ayant sa vie propre, on est passé, pour parler comme Simmel, au style, du style à l’ornement et de l’ornement à la parure. Un pas de plus, juste un pas, et il ne reste qu’un parfum, une atmosphère, un gaz : de l’air de Paris, dirait Duchamp. L’art se réfugie alors dans une expérience qui n’est plus celle d’objets entourés d’une aura mais d’une aura qui ne se rattache à rien ou quasiment rien. Cette aura, cette auréole, ce parfum, ce gaz, comme on voudra l’appeler, dit à travers la mode l’identité de son époque » [c’est nous qui soulignons].

A. C.

28 septembre, 2013

Du bon usage de « Mein Kampf » d’A. Hitler à Londres en septembre 1939.

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DU BON USAGE DE MEIN KAMPF D’A. HITLER  A LONDRES EN SEPTEMBRE 1939

Du bon usage de

«  Pour remplacer les sacs de sable destinés à protéger les monuments de Londres contre les bombardements, les Anglais ont eu une idée originale :ils emploient les nombreux exemplaires de « Mein Kampf » recueillis chez les libraires de la capitale ».

Cette photo surprenante et sa légende sont extraites du numéro de Match du 7 septembre 1939 consacré au début de la seconde guerre mondiale (p. 13) :

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Bien qu’il s’agisse d’une image de propagande, c’était certainement le meilleur usage que que l’on pouvait faire à cette époque de ce texte fondateur de la barbarie nazie. Le cynique promoteur des autodafés de livres interdits n’imaginait certainement pas que le procédé allait se retourner contre lui.

La protection matérielle que ces volumes ont pu apporter aux bâtiments anglais face aux bombes allemandes qui vont commencer à déferler un an plus tard lors du « blitz » (la guerre éclair) –  à partir du 7 septembre 1940 jusqu’au 21 mai 1941 – a dû être mince.

Quoi qu’il en soit, détruits en première ligne dès le début des bombardements meurtriers, ces faibles boucliers de papier et leur destin annoncent de façon hautement symbolique le propre destin suicidaire de l’Allemagne nazie.

 

17 mars, 2013

Le sublime selon Rilke et Marie Laurencin, 1946.

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Le sublime selon R. M. Rilke.

Le sublime selon Rilke et Marie Laurencin, 1946. rilkes2

Poésies françaises de Rainer Maria Rilke, avec des vignettes de Jacques Ernotte

Emile-Paul Frères, 1946.

 *

Le sublime est un départ.

Quelque chose de nous qui au lieu

de nous suivre, prend son écart

et s’habitue aux cieux.

 

La rencontre extrême de l’art

n’est-ce point l’adieu le plus doux ?

Et la musique : ce dernier regard

que nous jetons nous-mêmes vers nous ?

***

Marie Laurencin .  Jeune fille à la guitare (1946). 

Laurencin 1946

Bien que subtile, la composition de cette eau-forte est peut-être moins énigmatique qu’il n’y paraît. A l’image de l’ange musicien est associée celle d’un « Bouddha féminin » prenant la terre à témoin de son Illumination. Mais la musicienne ne désigne-t-elle pas, en même temps, de la main gauche, la rosace de la guitare déposée précisément entre ses jambes ? Dans une posture inhabituelle, c’est tout le mythe de la « rose  », présente ou cachée, réelle, symbolique ou mystique qu’elle fait affleurer devant nous.

Rencontre extrême de l’art où l’invention alliée à la beauté des lignes et à la délicatesse de l’expression renvoie « l’Esprit du mal » à sa propre confusion. L’homme et la femme ont bien pour seul instrument leur corps – matière et médium – où amour et spiritualité ouvrent chacun à leur façon les portes de l’être et de son espace intérieur avant de basculer, avec l’Eveil, sur l’autre versant.  

22 janvier, 2013

R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie.

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 LOUISE LABE / RAINER MARIA RILKE, 1942

  R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie. labe2-0011

Die vierundzwanzig Sonette der Louïze Labé, Lyoneserin, 1555,

Ubertragen von Rainer Maria Rilke, Im Insel-Verlag Zu Leipzig, 1942, 18, 5 cm.

 

Les 24 sonnets de la poétesse lyonnaise Louise Labé (v. 1524 – 1566)  traduits en allemand par le grand poète d’origine autrichienne Rilke (1875 – 1926) ont été édités pour la première fois en 1917 chez le même éditeur. Il peut sembler « réconfortant » de voir qu’un éditeur allemand ait pu livrer un recueil de poésie au beau milieu de la première boucherie mondiale, comme s’il pouvait, à lui seul, faire un léger contrepoids à la barbarie humaine. Il est tout aussi « désolant » de dire l’inverse, et de constater que la plus haute culture, une fois de plus, n’a rien pu empêcher…

Il en est de même en 1942, et plus tragiquement encore, si l’on peut dire,  à propos de cette jolie plaquette imprimée sur beau papier. L’Europe est à nouveau à feu et à sang, les camps d’extermination des juifs fonctionnent, la Russie est envahie par les hordes nazies, et il se trouve encore en Allemagne des lecteurs susceptibles de lire des poèmes d’amour français du XVIe siècle traduits en allemand par un autre poète qui fut l’honneur de la langue germanique.

Culture et barbarie / Barbature et culturie.

 ***

Sonnet XVIII

Baise m’encor, rebaise moy et baise :

Donne m’en un de tes plus savoureus,

Donne m’en un de tes plus amoureus :

Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.

 

Las, te pleins tu ? ça que ce mal j’apaise,

En t’en donnant dix autres doucereus.

Ainsi meslans nos baisers tant heureus

Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.

 

Lors double vie à chacun en suivra.

Chacun en soy et son ami vivra.

Permets m’Amour penser quelque folie :

 

Tousjours suis mal, vivant discrettement,

Et ne me puis donner contentement,

Si hors de moy ne fay quelque saillie.

 

 

18 novembre, 2012

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946

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Marcel Duchamp traducteur d’Eugène Znosko-Borovsky.

Du jeu [d’échecs] intellectuel « s’exprimant en œuvres d’art ».

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946 zb-0014

Troisième édition, 1946 (19 cm).

Ce classique de la littérature échiquéenne fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

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Du jeu d’échecs « s’exprimant en œuvres d’art »

Eugène Znosko-Borovsky, Comment il faut commencer une partie d’échecs . Troisième édition revue et augmentée. Version française de Marcel Duchamp. Lille, Yves Demailly Editeur, 1946 (Les « Comment » de l’échiquier n° 2).

Ce classique de la littérature échiquéenne d’Eugène Znosko-Borovsky fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

Dans l’introduction, page 7, nous pouvons lire :

« Le jeu mécanique d’hier fait place au jeu des valeurs : les cases, les pièces varient dans leur importance. Tout se met en mouvement, le côté matérialiste du jeu est dominé par l’esprit… Il en est de même des coups : celui qui ne fait pas partie d’une suite doit être un coup faible ; un coup en apparence faible devient fort s’il prélude à une suite de manoeuvres qui le justifient. Les échecs en arrivent ainsi à perdre tout caractère mécanique ; l’idée domine ; le jeu intelligent est devenu un jeu intellectuel s’exprimant en oeuvres d’art.

C’est pour vous initier à ce nouvel art que je vais maintenant vous expliquer les divers débuts. N’est-ce pas là en effet le plus difficile, comme le sont les premières notes de musique ou les premières leçons de dessin ? ».

C’est nous qui avons souligné la phrase en italique. Quand on connaît les propos de M. D. sur la nature « artistique » du jeu d’échecs, nous devons nous poser la question de savoir si M. D. s’est « seulement » inspiré de notions dont Z.-B. fut « l’inventeur », ou qui plutôt avaient déjà cours dans le monde des échecs à l’époque - notions alors normalement ici reproduites par l’auteur dans son texte, ou si nous avons affaire à une « adaptation » propre au traducteur qui enrichit ainsi notablement le sujet et la façon d’appréhender ce jeu.

Hubert Damisch, en 1977, au Colloque de Cerisy sur M. D., relève bien dans sa communication que M. D. a traduit et publié le texte de Z.-B. « dans une version française qui lui doit certainement beaucoup de son style », mais il ne parle pas du problème que nous soulevons. (« La défense Duchamp », in Marcel Duchamp : tradition de la rupture ou rupture de la tradition ?, Dir. J. Clair, 10/18,UGE, 1979)).

Dans l’ouvrage Marcel Duchamp Artist of the Century (R. Kuenzoli , F. M. Naumann éd., MIT Press, 1996, 4e éd.) l’ouvrage de Z.-B. est cité de la façon suivante , plus directe : « Original french version rewritten by Duchamp (Paris, Cahiers de l’échiquier français, 1933 (3e éd. 1946) ». La réécriture est clairement nommée.

Rappelons enfin que Alexandre Alekhine (1892-1946), dont Marcel Duchamp fut proche, avait lui-même déclaré : « Un maître d’échecs remarquable et talentueux n’a pas seulement le droit, mais aussi le devoir de se considérer comme  un artiste » (www.europe-echecs.com/art).

 

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

Ces quelques lignes non citées dans les principaux ouvrages sur M. D., sauf erreur ou omission de notre part – sont à mettre en regard de la déclaration devenue célèbre de M. D. lors d’un banquet de l’Association d’Echecs de l’Etat de New York en août 1952 (où nous retrouvons aussi par ailleurs les thèmes du dessin et de la musique) :

« Objectivement, une partie d’échecs ressemble beaucoup à un dessin à la plume, avec cette différence que le joueur d’échecs peint avec les formes blanches et noires déjà prêtes [allusion au readymade…], au lieu d’inventer des formes comme le fait l’artiste. Le dessin ainsi élaboré sur l’échiquier n’a apparemment pas de valeur esthétique visuelle, et ressemble d’avantage à une partition de musique, qui peut être jouée et rejouée. Dans les échecs la beauté n’est pas une expérience visuelle comme en peinture. C’est une beauté plus proche de celle qu’offre la poésie ; les pièces d’échecs sont l’alphabet majuscule qui donne forme aux pensées ; et ces pensées, bien qu’elles composent un dessin visuel sur l’échiquier, expriment leur beauté abstraitement, comme un poème. En fait, je crois que tout joueur d’échecs connaît deux plaisirs esthétiques mélangés : l’image abstraite apparentée à l’écriture, et le plaisir sensuel de l’exécution idéographique de cette image sur l’échiquier. Mes contacts étroits avec les artistes et les joueurs d’échecs m’ont induit à conclure que, si tous les artistes ne sont pas des joueurs d’échecs, tous les joueurs d’échecs sont des artistes. » (Cité dans : A. Schwarz, Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu chez Marcel Duchamp, même, Ed. G. Fall, 1974, p.

Il est intéressant de signaler aussi , par rapport à l’image de la musique évoquée par M. D. lors de cette déclaration de 1952, ces passages extraits du roman de Vladimir Nabokov,  La défense Loujine,  publié en russe en 1930, traduit en français en 1934  (texte contemporain de la traduction-adaptation de M. D.) :

« Quel jeu, quel jeu ! dit le violoniste, en refermant soigneusement le coffret [d’un jeu d’échecs]. Des combinaisons pareilles à des mélodies. Je crois entendre pour ainsi dire la musique des coups… – A mon avis, pour jouer aux échecs, il faut être doué pour les mathématiques, dit Loujine père, et moi, ce n’est pas mon fort… On vous attend, maître  »    ( Edition Folio, 2013, p. 49).

[---]

« Turati se décida enfin – et aussitôt une sorte de tempête polyphonique se déchaîna sur l’échiquier. Loujine y cherchait avec opiniâtreté la petite note dont il avait besoin pour en tirer, à son tour, en l’amplifiant, un tonnerre d’harmonies. Maintenant l’échiquier respirait la vie, tout y était concentré sur un point déterminé, tout s’y resserrait de plus en plus ; la disparition de deux pièces apporta une accalmie passagère, puis éclata un nouvel agitato » (p. 153).

De 1934 à 1952, Marcel Duchamp n’a pas pu ne pas prendre connaissance du roman de Nabokov. Mais il a peut-être profité aussi d’une autre façon de la lecture de ce roman. Peut-être lui a-t-elle directement inspiré l’idée de la création du « Jeu d’échecs de voyage », ready-made rectifié (1943-1944). En effet, ce jeu apparaît vers la fin du roman de Nabokov :

« Ce n’était pas un calepin, mais un petit échiquier pliant en maroquin.  Loujine se souvint aussitôt que cet objet lui avait été offert dans un club parisien – tous les participants au tournoi en avaient reçu un semblable, à titre de publicité ou peut-être en souvenir. Sur les côtés de l’échiquier il y avait, dans des cases, de petites pièces de celluloïd pareilles à des onglets, dont chacune représentait une figurine. Elles étaient placées de telle façon que la partie pointue de chacune s’insérait dans une petite fente sur le bord extérieur de chaque case, tandis que la partie arrondie, représentant une figurine, s’appliquait contre la case. Tout cela – le petit échiquier blanc et rouge et les jolis onglets en celluloïd – était élégant et soigné ; et il y avait encore, sur le bord horizontal de l’échiquier, des lettres imprimées en or et, sur le bord vertical, des chiffres également dorés… » (p. 239-240).

La description correspond parfaitement au ready-made de Duchamp. La rectification a consisté à remplacer sur l’objet manufacturé les pièces originales par ses propres pièces imprimées sur celluloïd (Voir : « L’échiquier de Marcel Duchamp », patrimoine-echecs.tpgbesancon.com) ; ou F. N.M. Naumann, Marcel Duchamp, L’art à l’ère de la reproduction mécanisée, Hazan, 1999, p. 158). Il est curieux de voir que la source vraisemblable de l’idée de cet objet rectifié n’ait pas été avancée dans la somme si érudite de Naumann.

*

A l’origine simulation « ludique » de « l’art de la guerre », le jeu d’échecs acquiert peu à peu à son profit le prestige accordé à un « art » à part entière. Le rapprochement avec la partition musicale existait aussi à l’époque de la déclaration d’Alekhine (cf. le roman de Nabokov). Marcel Duchamp a donc su exploiter de la façon que l’on sait des idées, des notions qui avaient déjà cours dans le monde des échecs et même dans le domaine littéraire. C’est bien la pensée singulière et le parcours  iconoclaste de Duchamp « artiste » et grand joueur d’échecs qui ont donné à ces notions la force et la résonance qu’elles ne pouvaient pas manquer d’avoir dans le profond bouleversement qu’il a lui-même provoqué au début du XXe siècle au sujet de la définition même de « l’Art ».

***

 

Le Grand Rêve

 

Roi et Reine conjugués

Les deux figures natives

 De l’unité retrouvée

*

Les deux figures actives

A l’essence retournées

 Roi et Reine conjugués

*

O Grands Couples malmenés

Homme et Femme – Blancs et Noirs

 En quête d’éternité

 *

Rois et Reines animés

Sur le plateau du désir

 Tel un grand rêve brisé

 

 A.C.

1 octobre, 2012

L’ALBERT MODERNE ou NOUVEAUX SECRETS…, 1769.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 18:07

 

 L’ALBERT MODERNE

 

L'ALBERT MODERNE ou NOUVEAUX SECRETS..., 1769. albertm1 

L’Albert moderne, ou Nouveaux secrets, éprouvés et licites… – A Paris : chez la Veuve Duchesne, 1769, 12°.

 

 L’Albert Moderne emprunte son titre au Grand Albert, un célèbre ouvrage de magie populaire attribué au théologien et encyclopédiste Albert le Grand (1200-1280). La rédaction du Grand Albert commence vers le milieu du 13e siècle et aboutit à sa forme définitive à la fin du 16e . Malgré la condamnation de l’Eglise, il connaît un grand succès et il est contamment réédité.

La première édition de l’Albert Moderne date de 1768. Son rédacteur est Pons Augustin Alletz (1703-1785), homme de lettres auteur de nombreux dictionnaires en littérature, en histoire, en agronomie. Il se défend, dans sa préface, de reproduire « les matières un peu trop libres »,  »les secrets » qui défient la raison ou ceux qui pourraient être utilisés à mauvais escient.

Le volume se divise en trois parties : secrets pour la santé, secrets utiles pour divers sujets, secrets pour l’agrément. Nous avons ainsi de nombreuses et étonnantes recettes qui vont des soins pour les cors aux pieds, le cancer, aux recettes permettant de varier les couleurs des roses en passant par le « Moyen de se faire un cadran naturel pour savoir quelle heure il est sans montre ni cadran ».

La bibliographie ne recense pas de résultats d’enquêtes de satisfaction qui auraient pu être menées auprès des lecteurs opérateurs…

 

25 juillet, 2012

« L’Apocalypse », maintenant, de Georges Hugnet (1937).

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 10:09

 

Georges Hugnet (1906 – 1974) est un artiste et un poète qui fit partie du mouvement surréaliste de 1932 à 1939. Il fut aussi le premier historien du mouvement Dada. 

Guy Lévis Mano, 1937 (13, 5 cm).

 

 L’Apocalypse est un petit livret de 16 pages dont la première édition a été donnée à Paris en 1932 aux Editions Jeanne Bucher.

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 Le texte avait été écrit pour accompagner une série d’eaux-fortes de S. W. Hayter intitulée L’Apocalypse.

***

L’Apocalypse a été publiée entre les deux apocalypses du XXe siècle, celle de 1914-1918 et celle de 1939-1945.

—- Alors s’éleva une voix et cette voix parlait à tous : « la mort est en vous et autour de vous ; elle travaille lentement en vous et son grignotement serait assourdissant et intolérable si le silence pouvait exister. »

—- Et tous répondirent : « Nous sommes porteur d’agonie comme le soleil est porteur d’ombre. Au fond de nous, la mémoire fait le point de nos angoisses. »

—- « Homme seul, seul homme des fins du monde, tu es solitaire et tu crois à la destruction.

—- Les chevaux de la révélation reviennent à toi chaque jour, parce que chaque jour porte en lui le recommencement de ton désespoir.

—- Et, le plus souvent, tu les écartes et les chasses, parce que, crois-tu, ils n’ont traversé que tes nuits et qu’à ton réveil, ta main vide est dressée vers ce qui fuit, qui demeure en toi

—- comme l’amour et comme l’oubli. »

(extraits).

18 juin, 2012

Emile Gilioli illustrateur.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 20:53

 

Emile Gilioli (1911 – 1977) est surtout connu pour ses sculptures, mais il fut aussi dessinateur et lithographe.  

Emile Gilioli  illustrateur. gilioli-0013-207x300 

Cette composition lithographiée est le frontispice original du recueil de poésie de Marie-Henriette Foix (1903-1995) intitulé La Liberté tombe des arbres (Les Ecrivains réunis, Armand Henneuse Editeur, 1958). On retrouve dans ce dessin le caractère des ébauches qu’il effectuait avant de travailler la pierre, « la géométrie pure du volume » qui caractérise l’oeuvre du sculpteur (dimensions de l’illustration : 19 cm x 14 cm).

 

Le Pays de minuit (Marcinelle)

Soufre enflammé, paons évadés,

langues folles de lumière

n’ont pu lécher

le noir de mon visage.

Ni blanc, ni jaune ou bleu

n’a couvert l’anthracite

avec une autre vérité.

L’eau n’a jamais emmené

la fatigue sous la peau.

Fassent les brasiers grimpeurs

tourner au noir l’azur du ciel !

 

Ma peine y fera son partage.

M.-H. Foix

(Marcinelle est le nom d’une section de la ville belge de Charleroi où se produisit le 8 août 1956 une grande catastrophe minière).

 

2 juin, 2012

Lire « La Méduse » de Bruno Henri Labeaume, Editéal, 2012.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 21:58

 

Lire

Bruno Henri Labeaume, La Méduse, Editéal, 2012, 308 p.

D’un univers carcéral à l’autre – au sens propre comme au sens figuré, Bérengère Lemoine incarne le légitime désir  de bonheur et de réussite ; peut-être a-t-elle une chance de réussir. Mais non, la fiction, dont nous ne donnerons que le point de départ, ne tardera pas à nous prouver le contraire. De chapitre en chapitre une tension se met en place, par paliers, et le malaise s’installe progressivement. Des situations étranges et les rebondissements qui en découlent vont ponctuer l’intrigue et nous ne saurons pas jusqu’au dernier instant quel sera le dénouement.

Enseignante dans une prison pour femmes, l’héroïne est en quête d’amour et de sens. Elle s’éprend d’une détenue, Théodora. Bérengère a « un complexe » qui l’empêche d’aimer son propre corps : « Elle préférait aimer le corps des autres ». Ce désir d’amour se double d’une quête spirituelle car Bérengère fréquente les mouvements dits de « recherche spirituelle », ce qui montre qu’elle est insatisfaite, aussi, des capacités de son propre esprit pour conduire de façon autonome sa vie. De cette fréquentation, elle découvre peu à peu le risque d’enfermement, les ambiguïtés et les manipulations. Fragile, elle n’est pourtant pas isolée, elle a de longues discussions à ce sujet avec son ami Auguste Sperandio qui fait précisément une étude de ces mouvements.

Mais une autre détenue, jalouse, la Méduse, veille. Elle est « comme un danger permanent », la figure de l’angoisse, de l’énigme, du trouble généralisé. « Il n’y avait rien à dire quand la Méduse était en colère. Surtout ne rien dire. La Méduse continuait son monologue. Elle continua pendant une heure, à voix de plus en plus basse, avec des mots de plus en plus durs ». Théodora meurt d’une manière tragique. Bérengère, bouleversée, décide de partir en voyage. Elle rencontrera les hommes au ventre jaune, les vieillards éveillés et les hommes-panthères… Elle reviendra même des enfers, un espace digne du panneau de Jérôme Bosch, entre Dante et Sade. Rêves diurnes,  fantasmes nocturnes, univers parallèles où l’utopie et le monstrueux côtoient la réflexion, la satire et l’ironie ? Peu importe, c’est le cheminement de la fiction au fil des lignes qui compte, et notre propre désir de connaître « la fin de l’histoire ».

Dans ce monde d’illusion, La Méduse  met en scènes le douloureux secret de polichinelle qui nous fait tous languir. L’auteur les porte à bout de bras pour nous protéger de son terrible regard.

Bruno Henri Labeaume est aussi un musicien de talent qui pratique en tant que pianiste la musique de chambre.

L’adresse web du Trio Organdi est la suivante : www.wix.com/trioorgandi/fr

26 avril, 2012

« Les Délices de l’Italie » (1707), une source du peintre De Chirico ?

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Les Délices de l’Italie (III)

Naples

Rogissart, Alexandre de. – Les Délices de l’Italie, contenant une description exacte du Païs, des principales Villes, de toutes les Antiquitez, & de toutes les raretez qui s’y trouvent.Ouvrage enrichi d’un tres-grand nombre de Figures en Taille-Douce. Tome troisième. – A Paris : par la Compagnie des libraires, 1707. – 12°.

 Troisième volume d’un grand guide touristique qui en compte quatre, avec 47  gravures sur cuivre dont certaines sont dépliantes.

La gravure que nous reproduisons en premier est celle de la fontaine de Medina   »vis à vis le Castro Nuovo. Ce sont trois graces qui soûtiennent un vaste bassin, du milieu duquel il s’éleve une statuë de Neptune, accompagné de deux chevaux marins qui jettent l’eau par les narines. Ce dieu est armé d’un trident d’où l’eau sort avec impétuosité : toutes ces figurent font plaisir. »

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Cette gravure est particulièrement intéressante, moins pour la fontaine qui en constitue le sujet  »désigné » que pour l’ensemble de la représentation qui évoque irrésistiblement les tableaux métaphysiques du peintre De Chirico et particulièrement la série dite des « Places d’Italie ».

On ne peut pas en effet ne pas être frappé par certaines similitudes : une place avec une fontaine centrale - accordée ici au thème de la sculpture monumentale, une place où évoluent quelques personnages seulement, un grand espace presque vide entouré à droite de hauts bâtiments en enfilade aux arcades désertes et sombres, bordé à gauche d’un haut mur crénelé et de deux tours. Le mur se poursuit longuement en perspective jusqu’au port et à sa digue où s’élève à nouveau une tour ou un phare disposé face à la mer. A gauche, au fond, sur une ligne d’horizon haut perchée, un navire… comme il en passe souvent à l’arrière-plan de plusieurs tableaux du peintre.

Les dimensions démesurées de l’architecture par rapport aux personnages accentuent le caractère d’étrangeté d’un espace où le temps semble s’être arrêté.

Le canon tourné du côté de la place ne manque pas d’être surprenant. Il nous amène à penser, même avec toute la prudence qui s’impose tant les deux oeuvres diffèrent dans le détail, au tableau intitulé « La conquête du philosophe » (1914), où précisément un énorme canon apparaît du même côté du tableau, avec au fond à gauche, les voiles d’un navire, en concurrence, il est vrai, avec un train, au centre.

 

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La passion que le peintre a toujours éprouvée pour les chevaux sans bride, libres de toutes entraves, symboles de la liberté, est peut-être aussi à mettre en relation avec la ville de Naples. Une ancienne et grande statue de cheval en bronze « étoit autrefois dans la place qui est vis à vis sainte Restitude. Ce cheval représentoit la ville de Naples qui porte un cheval pour ses armes. » Il ne reste plus aujourd’hui que la tête de ce cheval conservée de nos jours au musée archéologique de la ville…

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L’image de ce buste a peut-être inspiré la présence et le profil des trois bustes de cheval  disposés de la même manière dans le tableau intitulé « Constructeurs de Trophées » (1928/1929) (Milan, Civico Museo d’Arte Contemporanea).

 

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D’autres rapprochements peuvent être effectués, comme par exemple les nombreux fanions qui surmontent les tours du peintre et que l’on retrouve sur les bâtiments des gravures.

 Mais un monument retient plus particulièrement notre attention, tant pour l’atmosphère de l’image que pour l’homologie de la structure et plusieurs détails : il s’agit de l’Obélisque de St Janvier que nous pouvons comparer au tableau intitulé « Le Grand métaphysicien » (1917) !

Au niveau de la structure des images, plusieurs éléments correspondent : la ligne basse de l’horizon,  la profondeur du champ, la place et la hauteur démesurée de l’obélisque surmonté du saint,  les bâtiments traités en grisé à gauche sur la gravure, en noir sur le tableau, les parties « éclairées » étant majoritairement au milieu et à droite.

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En ce qui concerne les rapprochements « de détail », en dépit du caractère totalement nouveau et étrange de la représentation de ce grand métaphysicien aux attributs non moins curieux et variés, on ne peut pas ne pas trouver une ressemblance entre la moitié supérieure de la statue du saint au sommet de l’obélisque et la disposition du mannequin au sommet de l’édifice chiriquien ; la crosse de l’évêque à gauche  de sa tête et sa main bénissante à droite trouvent aussi leurs correspondants matérialisés sur le tableau du peintre. Au milieu de l’élévation picturale, même le matériau de couleur rouge en forme de  tissu ou de cordon géant peut renvoyer à la forme arrondie et striée de l’étage central de l’obélisque.

Le seul personnage au premier plan à droite de l’obélisque reste le seul personnage à droite sur le tableau, mais relégué loin à l’arrière-plan, disposé de la même façon.

 

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 Il est difficile de penser à de simples « coïncidences ». Autre point important : un tableau conservé au Museum of Modern Art de New York s’intitule : « Les Délices du poète » (1913). Il fait partie des premiers tableaux de la période dite métaphysique du peintre. Grâce au mot délices, un lien direct est de fait établi entre une oeuvre du peintre et le titre de notre ouvrage. Avant d’être les délices d’un poète,  les gravures de ce volume  des « Délices de l’Italie » ont fait les délices du peintre Giorgio de Chirico… Sauf erreur ou omission de notre part, ces points de convergence ne semblent pas avoir été repérés à ce jour. Nous pensons que De Chirico n’a pas pu ne pas avoir connaissance de ces gravures.

 Le dessin adopté selon la priorité ou non des sujets  -  en épure pour le cadre général, détaillé pour le monument décrit en particulier –  est à l’origine d’une « atmosphère » qui n’était certainement pas perçue par les contemporains de la même manière que nous le faisons aujourd’hui, car ces gravures étaient les « photographies » du reportage de l’époque, les reproductions nécessaires à l’illustration du texte.

Ainsi, ces gravures ont stimulé l’imaginaire du peintre dans une direction qu’il était déjà enclin à suivre de lui-même, à moins qu’elles n’aient été – dès 1910- le déclic visuel, artistique, à l’origine même de ces représentations métaphysiques propres au peintre.

Chi ricco lo sa ?

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