au livre bleu

26 février, 2015

« Why not sneeze Rose Selavy » de M. Duchamp enfin expliqué ?

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WHY NOT SNEEZE ROSE SELAVY ? (1921-1964)

de Marcel Duchamp enfin expliqué ?

Rêverie duchampienne et boustrophédoniste

 Pourquoi ne pas éternuer Rose Sélavy ? Il est certain qu’on ne peut aborder le décryptage du fameux titre du non moins célèbre ready-made de Marcel Duchamp sans un minimum de connaissances sur l’homme et son œuvre, pour ne pas dire son Grand Œuvre, car c’est bien de cela qu’il s’agit : le Grand Verre couplé à Etant donnés… Nous espérons que notre lecteur le possède. Il est bien sûr possible de nous lire même sans cette connaissance, car, après tout, cet article pourrait constituer une sorte d’introduction, quitte à revenir plus tard sur chacun des points évoqués. Mais, pour les « spécialistes » comme pour les « néophytes », jusqu’où ira la bénévolence des lecteurs, en une matière si nouvelle ?

La petite cage d’oiseau remplie de cubes de marbre (que l’on prend au premier abord pour des morceaux de sucre) auxquels M. D. ajouta un thermomètre et un os de seiche n’a pas cessé de faire couler beaucoup d’encre. Il en est de même du titre en anglais. Nous n’avons pas connaissance d’un essai de décryptage de la lettre, à la lettre, de ce titre. Alain Boton, dans son livre si important Marcel Duchamp par lui-même (ou presque) (Editions FAGE, 2013), pense qu’il doit cacher « un jeu de mots en anglais » mais avoue « [ne pas avoir] saisi l’indication qu’il apporte ». C’est cette « indication » que nous allons déchiffrer, en nous fondant sur la connaissance que nous avons de l’œuvre et de l’humour ravageur dont l’artiste a su faire preuve tout au long de sa vie, au dépens des tenants de l’Art.

Alain Boton a raison de soupçonner un jeu de mots, c’est bien le cas, où l’anglais intervient. Mais l’anglais intervient, de fait, pour moitié seulement. Car si la première moitié de l’énigme fut bien rédigée en anglais (la question), sa lecture réponse (i. e. la seconde moitié, camouflée) non seulement décrypte le texte mais le traduit aussi en français (sauf un mot). L’hébreu, comme nous allons le voir, apporte aussi une pierre à l’édifice. Nous donnons d’abord la lecture du ready-made matériel donnée par A. B. : « Je maîtrise (cage à oiseau) par mon intelligence (thermomètre) le processus de transmutation qui va transformer un objet de consommation courante (sucre) en œuvre d’art (marbre) une fois que je serai mort (os de seiche) ».

Mais ce ready-made fait aussi et en même temps référence à l’urinoir qui, comme l’on sait, va passer à la postérité en tant qu’œuvre d’art sous le beau nom de Fontaine, œuvre scandaleuse s’il en est. Notre lecture du titre n’invente ni ne projette rien de subjectif : elle lit à la lettre et utilise les mêmes procédés que M. D. a employés tout au long de sa vie dans ses jeux de mot divers et variés, souvent approximatifs, procédés dont nous avons un large échantillon dans Poils et coup de pieds en tous genres de Rrose Sélavy (GLM, 1939) ainsi que dans les Notes posthumes (Centre Georges Pompidou, 1980 / Flammarion, 2008). Les mots « découverts » renvoient à son œuvre et à ses concepts comme A. B. l’a montré.

La lecture du titre anglais du ready-made doit s’effectuer de droite à gauche. Le principe est donc celui de l’écriture boustrophédon qui écrit et conduit la lecture des lignes dans un sens puis dans l’autre. C’est une lecture phonétique à l’envers, en miroir, miroirique, d’une grande importance pour M. D. puisqu’elle conditionne toute la signification de l’ensemble de son œuvre. Question :

WHY NOT SNEEZE ROSE SELAVY ?

Réponse :

Y VA LES ESORE ZEENS TON YHW.

Soit : I[l] va les e[s]sore[r]  thin(s) (= mince) ton dieu (YHW[H]) = dieu  / Rose Sélavy = Eros).

Il s’agit ici du premier niveau de lecture. Dans  « Il va les essorer mince ton DIEU », M. D. se parle à lui-même (en riant sous cape), son dieu n’étant évidemment pas Yahvé ( YHW) mais bien Rrose Sélavy, alias Eros, alias la postérité (c.f. A. B., p. 90). Remarquez que le W (le double V) peut renvoyer au double R de « Rrose » écrit souvent et plus commodément  « Rose » avec un seul R. Par ailleurs « Sélavy » n’avait-il pas été choisi pour sa sonorité « juive » ?

En ce qui concerne « thin » (« mince »), le mélange des deux langues,  le français et l’anglais, s’il n’est pas courant, est néanmoins bien attesté dans les jeux de mots de M. D. : ainsi « Coup de gueule / Good girl » (note 229),  « Do shit again Douche it again (note 232), « FAIR éphémère » (note 226), « Swiss side (suicide) » (note 287) (Notes, Flammarion, 2008).  Avec « essorer mince »,  M. D. profite de la figure de style appelée « énallage », c’est à dire l’emploi d’un adjectif pour un adverbe comme « parler haut », » peser lourd »…  Essorer donc de manière à les rendre « minces » car « mincement » n’existe plus aujourd’hui dans notre langue.

On peut encore découvrir un second niveau de lecture : « Il va les essorer mince ton NID achevé ».

M. D. s’adresse ici à Rose Sélavy ; il évoque « son nid achevé » soit l’installation  d’Etant donnés… où le corps de Rose Sélavy apparaît au premier plan sur un lit composé de branchages (comme un nid), espace sinon douillet du moins resserré qui peut réellement figurer un nid quand on regarde l’installation de dos, donc de façon inversée (cf. la photo in Janis Mink, Duchamp, Taschen, 2004, p. 89). « Nid achevé » est la lecture de l’allographe « ([to]n Y. H. V. », procédé identique à celui de « L.H.O.O.Q. » (« Elle a chaud au cul »), autre célèbre titre. L’allographe  est une suite de lettres n’ayant de sens que si celles-ci sont prononcées les unes après les autres, ce qui est le cas. Voyez  une longue liste de tels jeux dans la note 266 de Notes (Flammarion, 2008).

*

Nous sommes encore loin d’avoir épuisé le sens de ces deux lectures. Revenons à la première lecture : « Il va les ESSORER mince ton dieu ». Essorer : comme le montre A. B. dans son livre, le choix des mots comme celui des objets fait sens en tissant des liens entre les différentes œuvres (les jeux de mots comme les objets) qui s’éclairent ainsi mutuellement les unes les autres relativement au projet de M. D. (cf. la lecture par A. B. de Why not Sneeze… citée plus haut). Soit « [un] semblable conceptuel à travers des formes différentes » (A. B., p. 11) avec une cohérence qu’on ne pouvait imaginer.

Ainsi « essorer » ne peut pas ne pas renvoyer au Porte-bouteilles ou Sèche-bouteilles (1914) qui est un « égouttoir, un objet pour égoutter l’art, pour en supprimer la notion de goût » (A. B., p. 9). Essorer, c’est tordre un linge ou une toile (figures de l’œuvre d’art selon M. D., cf. A. B.) pour en exprimer l’eau par torsion en les amincissant au maximum, en les rendant « thin », si proche de l’« infra-mince » bien connu. « Le Porte-bouteilles : elle aura [l’œuvre d’art], en fin de processus, vidé l’art de ses derniers goûts / gouttes » (A. B., p. 11). En fait, ce ne sont pas seulement les œuvres d’art qui vont être essorées mais encore les visiteurs quand ils verront Etant donnés… que Why not Sneeze… annonce subrepticement dès 1921. Les regardeurs vont recevoir un sacré coup de pieds de la part de M. D. gagnant à la loterie de la postérité (c’est nous qui soulignons).

Notons au passage que les œuvres d’art essorées « en français » sont rendues « minces » – thin – mais dans la langue originale du titre du ready-made, l’anglais, comme si l’auteur de l’énigme, par cette apparente distorsion, voulait garder un pied sur le continent de chaque idiome et polir un peu plus le jeu de miroirs dans un aller-retour permanent et consubstantiel entre le lieu de départ et la formule d’arrivée…, même si lettres et phonétisme ont « simplement » permis ce que les virtualités des langages « autorisaient » (en français comme en anglais).

Voyons maintenant la seconde lecture : « Il va les essorer mince ton nid ACHEVE », c’est-à-dire une fois terminée l’installation d’Etant donnés… devenue visible en 1969, après la mort de son auteur (en 1968) , installation qui va non seulement malmener le concept classique d’œuvre d’art, comme dit plus haut, mais aussi toutes les interprétations que les plus acharnés regardeurs avaient pu formuler sur l’ensemble de son œuvre. Il faut remarquer que la première lecture, comme la seconde, formulent clairement un état, une situation à venir (Il va…) qui prouvent sans conteste la préméditation de l’action et la quasi certitude de la découverte de la signification dans l’avenir. Cette opération de décryptage a lieu 50 ans exactement après l’édition de la réplique de Why not Sneeze… en huit exemplaires donnée en 1964 par Arturo Schwarz (1964 – 2014) en sa galerie. « Peut-être vous faudra-t-il attendre cinquante ou cent ans pour toucher votre vrai public, mais c’est celui-là seul qui m’intéresse »  (M. D.). On peut même dire cent ans si l’on se reporte au Porte-bouteilles donné en 1914…

*

Il est temps maintenant de citer  le catalogue des œuvres de M. D. composé  par M. D. et A. Schwarz intitulé Hommage à Marcel Duchamp, Ready-mades, etc. (1913 – 1964), Le Terrain Vague, 1964. Comme nous l’avons montré sur ce même blog dans notre critique du grand livre novateur d’A. B., Etant donnés 1) Alain Boton, 2) Marcel Duchamp par lui-même (ou presque), page du 11 novembre 2013, ce catalogue  est la preuve matérielle, concrète, du dispositif abstrait de « la pendule de profil » imaginée par M. D. relativement à son Grand Œuvre, le Grand Verre désormais couplé avec Etant donnés…, dispositif que A. B. nous révèle dans toute sa splendeur p. 27 de son livre.

Revenons au livre d’A. B. Nous sommes obligé de le citer un peu plus longuement maintenant pour les personnes qui ne l’ont pas encore lu car la compréhension de ce dispositif est essentielle pour comprendre le cheminement de M. D. : « Comme le montre le croquis ci-contre, cet ensemble, Grand Verre à gauche, et Etant donnés… à droite, est une pendule de profil… Si, à gauche, le spectateur est face au programme que va suivre dans le temps l’urinoir, on peut dire qu’il voit l’avenir de cette aventure d’un point de vue de 1913, la perspective indiquant un point d’horizon qui est, par la force des choses, la fin de cette aventure : la mort de Duchamp. De même, si à droite, le spectateur regarde dans le petit trou de la porte [de Etant donnés…], c’est qu’il est obligatoirement et au plus tôt en 1969, dans la mesure où Duchamp a tenu à ce que cette œuvre soit posthume. Puisqu’elle n’a été exposée qu’après sa mort, on peut dire que le spectateur a été sciemment positionné par Duchamp de telle manière qu’il regarde obligatoirement vers le passé, posant un regard rétrospectif sur sa vie d’artiste et sur l’aventure de l’urinoir qui lui est intimement liée. L’espace entre ces deux objets représente, en toute logique duchampienne, le temps de cette aventure qui court de 1917 à 1969, et qui a permis à l’urinoir de faire son voyage dans le « monde de l’art » et d’atteindre la postérité promise. C’est donc bien une pendule, c’est-à-dire un objet qui mesure le temps, celui qu’il faut à un urinoir pour devenir l’œuvre paradigmatique de l’art d’une époque. La transsubtantiation de l’objet utilitaire en œuvre d’art, représentée par sa transformation en cette sculpture de gouttes, le mannequin féminin, que l’on voit en 1969, se nomme le  « renvoi miroirique » (A. B., p. 26-28).

Il nous est difficile d’être plus clair et de citer plus longuement le travail d’A. B. qu’il vaut mieux lire de bout en bout afin de comprendre à quel point il renouvelle « le point de vue » de l’œuvre de M. D. Why not Sneeze… rentre pleinement dans le dispositif duchampien. Elle annonce l’œuvre à venir Etant donnés… qui ne peut acquérir sa pleine signification qu’en renvoyant au Grand Verre comme A. B. le montre, de sorte que de cette manière seulement tout l’ensemble fera sens : comment faire en sorte qu’un objet usuel puisse devenir une œuvre d’art. WHY NOT SNEEZE ROSE SELAVY ?, en anglais, lu de gauche à droite, pose une question pour le moins saugrenue. Mais nous sommes loin de Dada, même s’il en épouse quelques traits pour mieux brouiller les pistes. La lecture inverse, de droite à gauche, au prix d’une lecture que M. D. lui-même nous invite à faire en utilisant ses propres outils verbaux et son propre concept de renvoi miroirique, nous donne non pas une réponse, mais bien deux dans une langue cible – sa langue natale – où les effets de miroir sont conservés  dans la lettre (anglais/français) comme dans les niveaux de sens :

IL VA LES ESSORER MINCE TON DIEU (M.D. s’adressant à lui-même)

et

IL VA LES ESSORER MINCE  TON NID ACHEVE (M.D. s’adressant à son double/à lui-même et à la mort-la postérité).

Dernier trait en effet d’humour noir, mais qui complète bien ce qui précède : comme le rébus matériel de « Why not Sneeze… » fait directement référence à sa propre mort (os de seiche), le « nid achevé »  peut aussi et doit en même temps signifier la future tombe de l’artiste car Rose Sélavy est Marcel Duchamp (« Rrose Sélavy alias Marcel Duchamp », note 214). « Il va les essorer mince ton tombeau ». La mort va en quelque sorte donner un plein accomplissement au travail d’essorage commencé au début de sa carrière… Tout le programme sera respecté à la lettre.

*

Certains lecteurs pourraient avancer qu’il s’agit là de pures coïncidences, tout étant dans tout et réciproquement, simples manipulations du langage où l’on peut finir par faire dire tout ce que l’on souhaite faire dire à un texte… S’il s’agit là de simples coïncidences, nous les trouvons bien nombreuses et bien cohérentes en si peu de mots, et quant aux éventuelles « manipulations du langage », l’auteur de Why not Sneeze… risque encore de nous en remontrer, quoi qu’on dise.

Nous rappelons simplement que chacun des mots « mis à nu » par notre transcription renvoie  à un objet, à un écrit, à un fait vérifiable ou à une pensée identifiée de M. D., il n’y a aucune « invention » ou projection de notre part : ESSORER – Porte-bouteilles, MINCE (Thin) – [Infra]-mince, DIEU – YHW, NID ACHEVE – allusion à l’objet cage d’oiseau initiale, l’installation concrète et terminée d’Etant donnés…, allusion à son propre tombeau (la cage définitive/la postérité), jusqu’à la dynamique induite par IL VA… (en 1921) qui projette la résolution de l’énigme dans l’avenir, mais dont la lecture se fait à reculons, rétrospectivement, comme M. D. l’a voulu.

Nos lecteurs seront-ils convaincus ? Nous n’avançons rien qui ne soit dans la lettre du texte et hors des procédés employés par l’artiste lui-même. Ces deux réponses ne pourraient-elles pas, sinon mettre un point final à l’énigme ô combien calculée, du moins éclairer sa résolution ?  WHY NOT ? Rêverie duchampienne et boustrophédoniste ?

A. Collet

 

 

17 mars, 2014

Les caractères de la civilité au XVIIIe siècle.

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Les caractères de la civilité au XVIIIe siècle.

 

P1040253

Conduite pour la bienséance civile et chrétienne, recueillie de plusieurs auteurs, pour les écoles du diocèse de Lyon.

- A Lyon : chez Benoit-Michel Mauteville, [1762], 16°. (Couverture parchemin de réemploi).

Ce petit livre est devenu rare comme de nombreux ouvrages de ce type qui ont beaucoup souffert de leur caractère usuel et pédagogique. C’est un manuel de savoir-vivre tel qu’il était pensé au XVIIIe s. dans le cadre d’un enseignement entièrement soumis à la morale de l’église catholique.

P1040254

On relève neuf parties : 1) la conduite pour le lever & le coucher 2) de la propreté 3) de la posture & du maintien du corps 4) du marcher 5) des entretiens 6) des visites 7) des repas 8) des lettres 9) de la manière de se comporter dans l’église.

Les caractères dits « de civilité » furent gravés par Robert Granjon au XVIe s. ; ce caractère typographique assez fantaisiste imitant l’écriture gothique cursive a servi à imprimer des livres de lecture pour l’éducation des enfants, les « civilités », puis d’autres ouvrages pédagogiques comme les manuels de savoir-vivre. Ce caractère resta en usage jusqu’au milieu du XIXe s.

 

10 décembre, 2013

Jeu d’échecs ou Jeu de jonchets (18e – 19e s.) ?

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 Pièces d’un jeu d’échecs  »à épingle » ou pièces d’un jeu de jonchets ?

A la lecture de la communication de Rodolfo Pozzi, Gli scacchi a spillo, présentée à une réunion du Chess Collectors International (Troyes en Champagne, 2007) que l’on peut voir à l’adresse www.cci-italia.it/pozzi/spillo2.htm on s’aperçoit que la question est loin d’être résolue pour un certain nombre de pièces dépareillées ayant perdu leur « coussin-échiquier » pour les premières ou une boîte les identifiant formellement pour les secondes. Cette communication est passionnante car elle donne de nombreux points de comparaison illustrés par de nombreuses photos.

Le jeu de jonchets est « l’ancêtre » du mikado. Il est composé de bâtonnets d’os ou d’ivoire (de 20 à 50 pièces), dont certains figurés, qu’il faut retirer un à un sans faire bouger les autres, une fois les pièces en vrac sur la table. Les pièces maîtresses sont au nombre de 4 : le roi (50 points), la reine (40 points), 2 cavaliers (10 points chacun). Le soldat, simple bâtonnet, compte pour 5 points. D’autres jeux comportent en plus 1 drapeau (30 points), 4 valets  (20 points chacun) et 6 cavaliers supplémentaires. Les figures sont empruntées au jeu de carte et au jeu d’échecs, ce qui n’a pas manqué de créer une confusion quant à l’origine de certaines pièces plus ou moins anciennes. 

J1

Le livre d’A. Capece, Le Grand livre de l’histoire des échecs (De Vecchi, 2001) présente un exemple de ce jeu du XVIIIe s. appelé ici « jeu de carrosse » ; c’est par ailleurs le dernier jeu présenté à la fin de la communication de R. Pozzi. Les pièces du jeu en os ont de même leur partie inférieure pointue pour qu’elles puissent être piquées dans un échiquier brodé sur un coussin. Les adeptes du jeu pouvaient alors jouer sans difficultés pendant un voyage en carrosse. Ce type de jeu est attesté depuis la première moitié du XVIIe siècle car l’on sait par un témoignage que Louis XIII (1601-1643) y jouait dans son carrosse. On voit que les jeux ont pu facilement être « interchangeables », surtout quand on sait que les pions du jeu d’échecs de voyage pouvaient ne pas être sculptés (ou figurés) et être de simples bâtonnets (ce qui n’est pas le cas de ce jeu).

J2

Nous présentons ici 6 pièces qui proviennent de deux lots différents : 2 rois (hauteur : 11, 5 cm) et 2 cavaliers (10 et 11 cm) (premier lot) ;  une reine (12, 2 cm) et un valet (11 cm) (second lot). A la lecture de la communication de R. Pozzi, nous pensons que les 4 premières pièces peuvent bien provenir d’un ancien jeu d’échecs pour les raisons suivantes : homogénéité de la taille et pointe assez courte, et surtout deux rois aux tuniques différentes (alors qu’il n’y a qu’un roi par jeu de jonchets). En revanche, la pièce de la reine, plus grossièrement sculptée, plus haute, à la pointe plus longue et plus effilée, vient plus sûrement d’un jeu de jonchets ; il y a un doute pour le valet qui aussi bien peut appartenir aux deux jeux, même s’il ressemble à la pièce du fou du jeu d’échecs tel qu’il apparaît dans les pions blancs du jeu de carrosse cité. Les 2 cavaliers sont par ailleurs identiques à ceux de ce jeu du XVIIIe s.

La figure du roi du jeu d’échecs cité ressemble beaucoup au portrait de Louis XV (1710-1774 ; hauteur : 13 cm) ; celle de notre jeu est en revanche très proche du visage allongé et pointu d’Henri III (1551-1589). La coiffe royale à trois pointes renvoie à celle du dernier Valois portant sur le devant une triple aigrette telle qu’on peut la voir sur le tableau de François Quesnel (vers 1588), tableau reproduit sur de nombreuses gravures à la fin du XVIe s. Dans les deux cas, la ressemblance est frappante. Mais il s’agit encore d’une autre approche et nous remarquons qu’elle n’a pas été abordée dans le cadre de la communication de R. Pozzi.

11 novembre, 2013

EtANT DONNES : 1) ALAIN BOTON, 2) « MARCEL DUCHAMP PAR LUI-MEME (OU PRESQUE) », Fage, 2013.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 16:38

Alain Boton, Marcel Duchamp par lui-même (ou presque), Editions Fage, 2013 

Le Nu descendant l’escalier refusé au Salon des Indépendants en 1912 – naguère le nu académique « figé par excellence » était le symbole de la peinture ancienne – s’anime et se met à descendre de son piédestal pour aller à la rencontre de son double virtuel (alias son « renvoi miroirique ») Fontaine, objet lui-même refusé à l’exposition de l’Armory Show en 1917.

EtANT DONNES : 1) ALAIN BOTON, 2)

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici même dans mon Hommage à M. D., Boîte-en-catalogue, Le Mille et unième Item, 1912- 2012, pour le centième anniversaire de la non-exposition du célèbre tableau (page du 12/01/2012), cinq ans séparent ces deux « performances artistiques » confidentielles à l’époque mais par ailleurs unies dans le refus et l’opposition unanimes qu’elles déchaînent à leur encontre dans le milieu même de l’ART. Deux performances « négatives » unies et complices et lourdes et grosses de tous les développements de l’œuvre à venir, y compris et surtout de l’installation finale d’Etant donnés…, couronnement posthume « machiné » en secret par son auteur pour que nous ayons une vision rétroactive (et cohérente) de tout son parcours humoristique, intellectuel, spirituel, conceptuel et anartiste. Ces deux moins vont logiquement donner le plus à venir, la gloire définitive. Cette vision rétroactive, c’est M. D. lui-même qui nous y invite, comme le montre d’une manière étonnante, tant tous les éléments concordent, Alain Boton.

Car de 1912 à 1917, tout est déjà là, tout se met en place ; virtuellement tout fait, tout est fait ; la vie elle-même de M. D. sera sa troisième performance grandeur nature (et toujours controversée) aboutissant à la mise en place de l’installation secrète d’Etant donnés… , dans l’attente du grand dévoilement qui nous atteindra tous, pour peu que nous acceptions la démarche proposée par l’auteur de Marcel Duchamp par lui-même (ou presque). La résolution de l’énigme sera menée à son terme, mais sans la présence de son brillant concepteur, ultime pirouette et cacahuète lancée en direction des historiens et des tenants de l’ART majuscule.

Je viens de terminer une première lecture du livre fondateur d’A. B. qui va, je le crois, bousculer beaucoup d’auteurs et de lecteurs. Les « académiques » comme les simples regardeurs (dont je suis). Mais les trésors d’analyses, de réflexions et d’hypothèses produits par tous les exégètes officiels ou non – J. Clair, M. Décimo, D. Judovitz, A. Schwarz et bien d’autres – ne sont pas pour autant devenus du plomb. Ils restent le lest obligé de toutes les grandes études qui ont été conduites jusqu’à ce jour dans la perspective d’élucider le cas « hors norme » de l’aventure de M. D. que nous n’avons pas encore fini de découvrir même et peut-être surtout après la lecture du livre d’A. B. présenté comme un manuel, un mode d’emploi à l’usage des anciens regardeurs et des nouveaux découvreurs de l’œuvre sans égale. Je n’ai pas encore terminé ma seconde lecture, mais je pense néanmoins qu’il faut immédiatement faire connaître ce nouveau livre, quitte à revenir sur mes premières impressions et intuitions, les corriger ou les compléter.

Le livre se divise en deux parties dont la première s’intitule L’épanouissement en mise à nu par les célibataires, « la mystification du monde de l’art par Duchamp et son urinoir’ » (A. B.), où l’auteur montre comment le Grand Verre est une machine visant à faire passer un objet commun dans le monde de l’art : « Il suffit de combler le vide du Grand Verre… en bas à droite, par l’urinoir, pour qu’enfin la machinerie érotique se mette à fonctionner… Le Grand Verre ne devient compréhensible que grâce à l’urinoir ; et l’urinoir prend une autre dimension grâce au Grand Verre » (p. 6). « La transsubstantiation de cet objet utilitaire [l'urinoir] en œuvre d’art, représentée par sa transformation en cette sculpture de gouttes, le mannequin féminin, que l’on voit en 1969 [dans l’installation posthume de Philadelphie Etant donnés…], se nomme le « renvoi miroirique » (p. 28).

La seconde partie, Epanouissement en mise à nu imaginative de la mariée désirante est « l’exposition par Duchamp de ses expériences extatiques » (A. B.) dont le fondement est vraisemblablement l’expérience d’une « EMI », une Expérience de Mort Imminente telle qu’elle est décrite aujourd’hui par les médecins. Ces deux parties proposent une explication et une synthèse originales, complètes, denses mais cohérentes, de la démarche et de l’œuvre (matérielle et intellectuelle) de M. D. qui ont toujours semblé si provocatrices, protéiformes et absconses, trop « dadaïstes » en quelque sorte pour qu’on puisse un jour tirer quelque chose de « sensé » de ces tranquilles coups de force doublés de notes à peine plus compréhensibles qui s’éclairent pourtant aujourd’hui.

*

La lecture de ce livre a attiré mon attention sur le catalogue des œuvres de M. D. donné par A. Schwarz (Ready-mades, etc… (1913-1964), Le Terrain Vague, 1964), ouvrage dont on sait qu’il a été mis en page par M. D. lui-même et son galeriste comme cela est signifié au verso de la page de titre. Comme le montre bien A. B., tout ce que fait M. D. doit être regardé de près car tout prend sa place dans la toile d’araignée tissée par lui  jusqu’au dévoilement de l’œuvre posthume. Je ne sais pas si A. B. a eu ce livre entre ses mains, car il faut vraiment l’avoir entre les mains pour s’apercevoir que le dispositif abstrait de « la pendule de profil » mis au jour par A. B. (cf. le croquis p. 27 de son livre) se trouve réalisé, matérialisé et ainsi déjà dévoilé par la réalisation et l’iconographie du livre publié en 1964, soit quatre ans avant la mort de M. D., mais personne ne l’avait encore vu à ce jour.

Une jaquette illustrée recouvre le livre : sur le plat supérieur figure la reproduction de l’Obligation pour la roulette de Monte-Carlo (1924) représentant dans un médaillon la tête de Duchamp couverte de savon à barbe (dans la partie supérieure). Sur le plat inférieur de la même jaquette (en haut) figure A la manière de Delvaux (1942) où un buste de femme nue apparaît dans un miroir, le tout vu à travers une lunette.

1) L’Obligation qui se présente verticalement et figure un grand tapis vert de casino signifie le Grand Verre. Si vous retournez le livre, la reproduction de A la manière de Delvaux ne peut pas ne pas représenter ce qui apparaît à la vue dans l’œilleton de la porte de l’installation de Philadelphie Etant donnés… Dans la disposition et la relation matérielle des deux images, nous avons là mis en œuvre concrètement le dispositif abstrait mis au jour par A. B., dispositif qu’il nomme « la pendule de profil » du nom du pliage de M. D. (1964), pliage réalisé pour le livre de son ami Robert Lebel intitulé La Double Vue (!). Le tableau auquel fait référence M. D. pour A la manière de Delvaux s’appelle opportunément l’Aurore (1937) :  Etant donnés… que M. D. voulait que l’on voie après sa mort est marqué du signe de l’aurore. Le souhait ne manque pas d’ironie. Et que voulait-il que l’on voie aujourd’hui  ? : la reproduction de Fontaine spécialement conçue pour le plat supérieur de la reliure du livre, reproduction intitulée précisément pour cette occasion « renvoi miroirique » et se trouvant juste au-dessous de la jaquette. Tout concorde.

2) Mais il y a plus et cela vérifie matériellement encore – si c’était nécessaire – l’hypothèse que Alain Boton avance, même s’il s’appuie déjà sur des éléments vérifiables, autrement dit le titre (pour Fontaine), et la nature même de l’œuvre (pour A la manière de Delvaux). A. B. dit dans son livre (p. 56-57) à propos de cette version de Fontaine et du montage A la manière de Delvaux : « Si l’on juxtapose mentalement [c'est moi qui souligne] les deux images en superposant ce qu’elles ont de commun, en l’occurrence le fait d’être toutes les deux un « renvoi miroirique », on obtient un ensemble urinoir/renvoi miroirique/buste féminin. Nous sommes alors bien devant ce fameux système Wilson/Lincoln, à gauche l’urinoir, à droite le buste féminin. Le tout rassemblé par la notification dans les deux cas d’un « renvoi miroirique » : dans l’un, c’est une notification plastique (le miroir), dans l’autre, littéraire (le titre Renvoi miroirique) ». (Le système Wilson/Lincoln « est un petit procédé où deux images sont imprimées sur un papier plié en soufflet d’accordéon… de telle sorte que si l’on regarde de gauche à droite on voit le portrait du président Wilson, et si l’on regarde de droite à gauche, on voit le portrait du président Lincoln » (p. 56).

Si je me reporte maintenant à l’avant-dernière page du catalogue Duchamp, p. 67, que voit-on : le fac-similé d’une page reproduisant quatre photos d’œuvres de M. D. (Editions Trianon, 1959), fac-similé composé par M. D. lui-même. Les quatre images reproduites sont, de gauche à droite, en haut : A la manière de Delvaux et une représentation des « Neuf Tirés ou Trous », en bas : View (1945) et George Washington (Allégorie de genre) (1943). Rappel. A. B. : « Il suffit de combler le vide du Grand Verre… en bas à droite, par l’urinoir, pour qu’enfin la machinerie érotique se mette à fonctionner… Le Grand Verre ne devient compréhensible que grâce à l’urinoir ; et l’urinoir prend une autre dimension grâce au Grand Verre » (p. 6). La disposition de ces quatre clichés imite de manière explicite la disposition du Grand Verre et ce que l’on peut voir ici en bas à droite est précisément, matériellement, l’Allégorie de genre à l’effet Wilson/Lincoln avancé supra par A. B. pour sa démonstration où de fait l’urinoir vient maintenant se superposer, en renvoyant aussi à A la manière de Delvaux alias Etant donnés..., CQFD… Cette page du catalogue Duchamp apporte vraisemblablement la dernière preuve concrète à l’appui de la démonstration d’Alain Boton.

En effet, ce catalogue de la grande exposition rétrospective de l’œuvre de M. D. donnée par son galeriste en 1964 apparaît véritablement comme une somme et peut-être même comme le testament de M. D. qui profite de l’occasion pour « finaliser » en quelque sorte son projet. On ne peut pas ne pas se poser cette question quand on voit comment le volume fut construit et l’iconographie choisie et disposée.

On pourrait à juste titre poursuivre la démonstration en commentant le médaillon au portrait original de M. D. sur l’Obligation – image correspondant à A la manière de Delvaux à la fin du catalogue, mais cela nous entrainerait trop loin. Je renvoie (entre autres) à l’ouvrage de D. Judovitz (Déplier Duchamp : passages de l’art, P. U. du Septentrion, 2000) p. 165-172, pour signaler que la simple évocation du pari que l’artiste tire sur l’avenir nous suffit ici. Cet anartiste – ce sage, comme l’appelle Alain Boton – l’a gagné depuis longtemps.

Je possède un exemplaire de la Double Vue de Robert Lebel avec un envoi manuscrit de ce dernier : « A Jenny Linz ce livre enfin, vrai sans blanc (ni faux semblant) Robert Lebel ». Je me prends à rêver qu’il en est de même pour l’œuvre de Marcel Duchamp dont Robert Lebel fut le premier biographe. A la lecture du livre d’Alain Boton, et contrairement à ce que l’on aurait pu penser encore il y a peu, l’œuvre de Marcel Duchamp apparaît  aujourd’hui  « vrai[e] sans blanc », une œuvre dont la « vérité » va s’imposer sans zone « blanche »  susceptible d’échapper à une explication aussi cohérente que rationnelle. Tout le reste relève de l’art de la mise en scène, pour lui comme pour nous.

A. C.

 

 

 

30 septembre, 2013

Les jeux de mots mis à nu par leur locataire, même (Suite Marcel Duchamp).

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 18:37

Sur Les jeux de mots mis à nu par leur locataire, même,

ou

Portrait du ready-made en trope  dé-joué

(Suite Marcel Duchamp)

L’immanence est à l’imminence ce que le jeu de mots est à son paroxysme (et inversement) : le jeu de mots est au paroxysme ce que l’immanence est à l’imminence.

Soit

la matière du jeu de mots est inhérente à l’être (du langage, immanence) mais son sens est à jamais imminent…  et différé (d’où la tension propre à cette forme de paroxysme),

ou encore

l’immanence est à l’imminence ce que paronyme est à paroxysme…, etc. etc…

 Ce qui revient à dire, dans le cas de Marcel Duchamp :

la matière (quelle qu’elle soit) de l’œuvre d’art est inhérente à l’être - du monde, de l’homme, du langage, immanence donc (« Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art », travaux d’assemblages matériel, lexical ou musical… ) mais son sens profond, éminent, est à jamais dé-joué et pour tout dire parodique (d’où la tension propre à l’exercice…), etc. etc…

Apostille n° 1 : « Il y a dans l’écriture comme une sorte d’être-là qui déjoue, qui absente l’interprétation. Alain Robbe-Grillet ».

Apostille n° 2 : « Les gags profonds de Duchamp font de toutes les formes  un potentiel et un accident esthétiques, une occasion, parfaitement arbitraire, de beauté, de pathos ou de terreur dans l’œil secoué du spectateur. Aucune œuvre dite d’art ne devrait être assurée de son respect ou de son repos. C’est dans un salut fraternel et taquin à l’adresse de Léonard de Vinci – Duchamp a le rire précis – qu’il ajouta une moustache à Mona Lisa » (Georges Steiner, Grammaire de la création, Folio essais, 2008).

Apostille n° 3 : Sur « l’activité artistique [qui] dans l’avenir sera une activité ludique » voir la référence à Kostas Axelos in : M. Duchamp, A. Schwarz, Ready-mades, etc. (1913-1964) , Le Terrain Vague, 1964, p. 18, note 2.

***

Sur la Boîte verte

 A propos de la « Boîte verte » (1934), il faut attirer l’attention des regardeurs sur un point qui ne semble pas avoir été relevé par les exégètes (sauf erreur ou omission de notre part).

En effet, le titre inscrit au poinçon sur la suédine verte de la boîte est une idée certes originale de M. D. mais qui correspond en fait au procédé de la dorure à chaud en pointillé du titre sur certaines reliures d’art (« de luxe ») des années 20 et 30. Par exemple, la reliure de Daphné d’A. de Vigny réalisée par Pierre Legrain : le titre est porté de cette manière sur une reliure en maroquin mosaïqué aux tons gris, noir et vert, précisément. Or, Mary Reynolds, qui fut la compagne de M. D. pendant près de vingt ans, relieuse et collectionneur d’art, apprit l’art de la reliure auprès de Pierre Legrain. Le lien est donc bien établi. On sait que M. D. lui-même est à l’origine de la conception de certaines reliures.

Détail peut-être…, mais qui a toujours son importance avec Duchamp dans la manière qu’il a de détourner ou de « retourner » les idées reçues ou non, les pratiques, les usages… auxquels nous pouvions nous attendre. Même avec du « vide », Marcel Duchamp arrive à faire le « plein » de son titre… , et « l’or »  de son œuvre…

 

 ***

Thème et  variation sur l’ Air de Paris

Les jeux de mots mis à nu par leur locataire, même (Suite Marcel Duchamp). air-de-paris1

 

« Mis en Boîte et distribué… par Gadluco, 69 bd Saint-Michel, 75005 Paris… Important : Ne pas ouvrir, contenu irremplaçable… « , s. d. (10, 5 cm x 6 cm x 1, 8 cm).

Le ready-made original homonyme de Marcel Duchamp date de 1919. Il  fut diffusé sous forme de carte postale à partir de 1937. Pseudo renvoi miroirique détourné en boîte de conserve à caractère humoristique et commercial, ici « Air de Paris » comme on dirait ailleurs « Feu courbe », ou « Eau de Lourdes ».

Post-scriptum

A propos d’Air de Paris, nous ne pouvons pas ne pas  rappeler le passage suivant situé à la fin de l’ouvrage d’Yves Michaud, L’Art à l’état gazeux (Pluriel, 2010), où la notion de jeu trouve toute sa place.

« … je suggère que l’art n’est plus la manifestation de l’esprit mais quelque chose comme l’ornement ou la parure de l’époque. De l’œuvre autonome et organique, ayant sa vie propre, on est passé, pour parler comme Simmel, au style, du style à l’ornement et de l’ornement à la parure. Un pas de plus, juste un pas, et il ne reste qu’un parfum, une atmosphère, un gaz : de l’air de Paris, dirait Duchamp. L’art se réfugie alors dans une expérience qui n’est plus celle d’objets entourés d’une aura mais d’une aura qui ne se rattache à rien ou quasiment rien. Cette aura, cette auréole, ce parfum, ce gaz, comme on voudra l’appeler, dit à travers la mode l’identité de son époque » [c’est nous qui soulignons].

A. C.

28 septembre, 2013

Du bon usage de « Mein Kampf » d’A. Hitler à Londres en septembre 1939.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 18:47

 

DU BON USAGE DE MEIN KAMPF D’A. HITLER  A LONDRES EN SEPTEMBRE 1939

Du bon usage de

«  Pour remplacer les sacs de sable destinés à protéger les monuments de Londres contre les bombardements, les Anglais ont eu une idée originale :ils emploient les nombreux exemplaires de « Mein Kampf » recueillis chez les libraires de la capitale ».

Cette photo surprenante et sa légende sont extraites du numéro de Match du 7 septembre 1939 consacré au début de la seconde guerre mondiale (p. 13) :

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Bien qu’il s’agisse d’une image de propagande, c’était certainement le meilleur usage que que l’on pouvait faire à cette époque de ce texte fondateur de la barbarie nazie. Le cynique promoteur des autodafés de livres interdits n’imaginait certainement pas que le procédé allait se retourner contre lui.

La protection matérielle que ces volumes ont pu apporter aux bâtiments anglais face aux bombes allemandes qui vont commencer à déferler un an plus tard lors du « blitz » (la guerre éclair) –  à partir du 7 septembre 1940 jusqu’au 21 mai 1941 – a dû être mince.

Quoi qu’il en soit, détruits en première ligne dès le début des bombardements meurtriers, ces faibles boucliers de papier et leur destin annoncent de façon hautement symbolique le propre destin suicidaire de l’Allemagne nazie.

 

17 mars, 2013

Le sublime selon Rilke et Marie Laurencin, 1946.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 15:23

 

Le sublime selon R. M. Rilke.

Le sublime selon Rilke et Marie Laurencin, 1946. rilkes2

Poésies françaises de Rainer Maria Rilke, avec des vignettes de Jacques Ernotte

Emile-Paul Frères, 1946.

 *

Le sublime est un départ.

Quelque chose de nous qui au lieu

de nous suivre, prend son écart

et s’habitue aux cieux.

 

La rencontre extrême de l’art

n’est-ce point l’adieu le plus doux ?

Et la musique : ce dernier regard

que nous jetons nous-mêmes vers nous ?

***

Marie Laurencin .  Jeune fille à la guitare (1946). 

Laurencin 1946

Bien que subtile, la composition de cette eau-forte est peut-être moins énigmatique qu’il n’y paraît. A l’image de l’ange musicien est associée celle d’un « Bouddha féminin » prenant la terre à témoin de son Illumination. Mais la musicienne ne désigne-t-elle pas, en même temps, de la main gauche, la rosace de la guitare déposée précisément entre ses jambes ? Dans une posture inhabituelle, c’est tout le mythe de la « rose  », présente ou cachée, réelle, symbolique ou mystique qu’elle fait affleurer devant nous.

Rencontre extrême de l’art où l’invention alliée à la beauté des lignes et à la délicatesse de l’expression renvoie « l’Esprit du mal » à sa propre confusion. L’homme et la femme ont bien pour seul instrument leur corps – matière et médium – où amour et spiritualité ouvrent chacun à leur façon les portes de l’être et de son espace intérieur avant de basculer, avec l’Eveil, sur l’autre versant.  

22 janvier, 2013

R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 19:44

 

 LOUISE LABE / RAINER MARIA RILKE, 1942

  R. M. RILKE TRADUCTEUR DE LOUISE LABE, 1942. Culture et barbarie. labe2-0011

Die vierundzwanzig Sonette der Louïze Labé, Lyoneserin, 1555,

Ubertragen von Rainer Maria Rilke, Im Insel-Verlag Zu Leipzig, 1942, 18, 5 cm.

 

Les 24 sonnets de la poétesse lyonnaise Louise Labé (v. 1524 – 1566)  traduits en allemand par le grand poète d’origine autrichienne Rilke (1875 – 1926) ont été édités pour la première fois en 1917 chez le même éditeur. Il peut sembler « réconfortant » de voir qu’un éditeur allemand ait pu livrer un recueil de poésie au beau milieu de la première boucherie mondiale, comme s’il pouvait, à lui seul, faire un léger contrepoids à la barbarie humaine. Il est tout aussi « désolant » de dire l’inverse, et de constater que la plus haute culture, une fois de plus, n’a rien pu empêcher…

Il en est de même en 1942, et plus tragiquement encore, si l’on peut dire,  à propos de cette jolie plaquette imprimée sur beau papier. L’Europe est à nouveau à feu et à sang, les camps d’extermination des juifs fonctionnent, la Russie est envahie par les hordes nazies, et il se trouve encore en Allemagne des lecteurs susceptibles de lire des poèmes d’amour français du XVIe siècle traduits en allemand par un autre poète qui fut l’honneur de la langue germanique.

Culture et barbarie / Barbature et culturie.

 ***

Sonnet XVIII

Baise m’encor, rebaise moy et baise :

Donne m’en un de tes plus savoureus,

Donne m’en un de tes plus amoureus :

Je t’en rendray quatre plus chaus que braise.

 

Las, te pleins tu ? ça que ce mal j’apaise,

En t’en donnant dix autres doucereus.

Ainsi meslans nos baisers tant heureus

Jouissons nous l’un de l’autre à notre aise.

 

Lors double vie à chacun en suivra.

Chacun en soy et son ami vivra.

Permets m’Amour penser quelque folie :

 

Tousjours suis mal, vivant discrettement,

Et ne me puis donner contentement,

Si hors de moy ne fay quelque saillie.

 

 

18 novembre, 2012

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 9:04

 

Marcel Duchamp traducteur d’Eugène Znosko-Borovsky.

Du jeu [d’échecs] intellectuel « s’exprimant en œuvres d’art ».

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

EUGENE ZNOSKO-BOROVSKY/ MARCEL DUCHAMP, 1946 zb-0014

Troisième édition, 1946 (19 cm).

Ce classique de la littérature échiquéenne fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

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Du jeu d’échecs « s’exprimant en œuvres d’art »

Eugène Znosko-Borovsky, Comment il faut commencer une partie d’échecs . Troisième édition revue et augmentée. Version française de Marcel Duchamp. Lille, Yves Demailly Editeur, 1946 (Les « Comment » de l’échiquier n° 2).

Ce classique de la littérature échiquéenne d’Eugène Znosko-Borovsky fut traduit en français par Marcel Duchamp en 1933.

Dans l’introduction, page 7, nous pouvons lire :

« Le jeu mécanique d’hier fait place au jeu des valeurs : les cases, les pièces varient dans leur importance. Tout se met en mouvement, le côté matérialiste du jeu est dominé par l’esprit… Il en est de même des coups : celui qui ne fait pas partie d’une suite doit être un coup faible ; un coup en apparence faible devient fort s’il prélude à une suite de manoeuvres qui le justifient. Les échecs en arrivent ainsi à perdre tout caractère mécanique ; l’idée domine ; le jeu intelligent est devenu un jeu intellectuel s’exprimant en oeuvres d’art.

C’est pour vous initier à ce nouvel art que je vais maintenant vous expliquer les divers débuts. N’est-ce pas là en effet le plus difficile, comme le sont les premières notes de musique ou les premières leçons de dessin ? ».

C’est nous qui avons souligné la phrase en italique. Quand on connaît les propos de M. D. sur la nature « artistique » du jeu d’échecs, nous devons nous poser la question de savoir si M. D. s’est « seulement » inspiré de notions dont Z.-B. fut « l’inventeur », ou qui plutôt avaient déjà cours dans le monde des échecs à l’époque - notions alors normalement ici reproduites par l’auteur dans son texte, ou si nous avons affaire à une « adaptation » propre au traducteur qui enrichit ainsi notablement le sujet et la façon d’appréhender ce jeu.

Hubert Damisch, en 1977, au Colloque de Cerisy sur M. D., relève bien dans sa communication que M. D. a traduit et publié le texte de Z.-B. « dans une version française qui lui doit certainement beaucoup de son style », mais il ne parle pas du problème que nous soulevons. (« La défense Duchamp », in Marcel Duchamp : tradition de la rupture ou rupture de la tradition ?, Dir. J. Clair, 10/18,UGE, 1979)).

Dans l’ouvrage Marcel Duchamp Artist of the Century (R. Kuenzoli , F. M. Naumann éd., MIT Press, 1996, 4e éd.) l’ouvrage de Z.-B. est cité de la façon suivante , plus directe : « Original french version rewritten by Duchamp (Paris, Cahiers de l’échiquier français, 1933 (3e éd. 1946) ». La réécriture est clairement nommée.

Rappelons enfin que Alexandre Alekhine (1892-1946), dont Marcel Duchamp fut proche, avait lui-même déclaré : « Un maître d’échecs remarquable et talentueux n’a pas seulement le droit, mais aussi le devoir de se considérer comme  un artiste » (www.europe-echecs.com/art).

 

Des «  combinaisons pareilles à des mélodies » au « Jeu d’échecs de voyage »

Ces quelques lignes non citées dans les principaux ouvrages sur M. D., sauf erreur ou omission de notre part – sont à mettre en regard de la déclaration devenue célèbre de M. D. lors d’un banquet de l’Association d’Echecs de l’Etat de New York en août 1952 (où nous retrouvons aussi par ailleurs les thèmes du dessin et de la musique) :

« Objectivement, une partie d’échecs ressemble beaucoup à un dessin à la plume, avec cette différence que le joueur d’échecs peint avec les formes blanches et noires déjà prêtes [allusion au readymade…], au lieu d’inventer des formes comme le fait l’artiste. Le dessin ainsi élaboré sur l’échiquier n’a apparemment pas de valeur esthétique visuelle, et ressemble d’avantage à une partition de musique, qui peut être jouée et rejouée. Dans les échecs la beauté n’est pas une expérience visuelle comme en peinture. C’est une beauté plus proche de celle qu’offre la poésie ; les pièces d’échecs sont l’alphabet majuscule qui donne forme aux pensées ; et ces pensées, bien qu’elles composent un dessin visuel sur l’échiquier, expriment leur beauté abstraitement, comme un poème. En fait, je crois que tout joueur d’échecs connaît deux plaisirs esthétiques mélangés : l’image abstraite apparentée à l’écriture, et le plaisir sensuel de l’exécution idéographique de cette image sur l’échiquier. Mes contacts étroits avec les artistes et les joueurs d’échecs m’ont induit à conclure que, si tous les artistes ne sont pas des joueurs d’échecs, tous les joueurs d’échecs sont des artistes. » (Cité dans : A. Schwarz, Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu chez Marcel Duchamp, même, Ed. G. Fall, 1974, p.

Il est intéressant de signaler aussi , par rapport à l’image de la musique évoquée par M. D. lors de cette déclaration de 1952, ces passages extraits du roman de Vladimir Nabokov,  La défense Loujine,  publié en russe en 1930, traduit en français en 1934  (texte contemporain de la traduction-adaptation de M. D.) :

« Quel jeu, quel jeu ! dit le violoniste, en refermant soigneusement le coffret [d’un jeu d’échecs]. Des combinaisons pareilles à des mélodies. Je crois entendre pour ainsi dire la musique des coups… – A mon avis, pour jouer aux échecs, il faut être doué pour les mathématiques, dit Loujine père, et moi, ce n’est pas mon fort… On vous attend, maître  »    ( Edition Folio, 2013, p. 49).

[---]

« Turati se décida enfin – et aussitôt une sorte de tempête polyphonique se déchaîna sur l’échiquier. Loujine y cherchait avec opiniâtreté la petite note dont il avait besoin pour en tirer, à son tour, en l’amplifiant, un tonnerre d’harmonies. Maintenant l’échiquier respirait la vie, tout y était concentré sur un point déterminé, tout s’y resserrait de plus en plus ; la disparition de deux pièces apporta une accalmie passagère, puis éclata un nouvel agitato » (p. 153).

De 1934 à 1952, Marcel Duchamp n’a pas pu ne pas prendre connaissance du roman de Nabokov. Mais il a peut-être profité aussi d’une autre façon de la lecture de ce roman. Peut-être lui a-t-elle directement inspiré l’idée de la création du « Jeu d’échecs de voyage », ready-made rectifié (1943-1944). En effet, ce jeu apparaît vers la fin du roman de Nabokov :

« Ce n’était pas un calepin, mais un petit échiquier pliant en maroquin.  Loujine se souvint aussitôt que cet objet lui avait été offert dans un club parisien – tous les participants au tournoi en avaient reçu un semblable, à titre de publicité ou peut-être en souvenir. Sur les côtés de l’échiquier il y avait, dans des cases, de petites pièces de celluloïd pareilles à des onglets, dont chacune représentait une figurine. Elles étaient placées de telle façon que la partie pointue de chacune s’insérait dans une petite fente sur le bord extérieur de chaque case, tandis que la partie arrondie, représentant une figurine, s’appliquait contre la case. Tout cela – le petit échiquier blanc et rouge et les jolis onglets en celluloïd – était élégant et soigné ; et il y avait encore, sur le bord horizontal de l’échiquier, des lettres imprimées en or et, sur le bord vertical, des chiffres également dorés… » (p. 239-240).

La description correspond parfaitement au ready-made de Duchamp. La rectification a consisté à remplacer sur l’objet manufacturé les pièces originales par ses propres pièces imprimées sur celluloïd (Voir : « L’échiquier de Marcel Duchamp », patrimoine-echecs.tpgbesancon.com) ; ou F. N.M. Naumann, Marcel Duchamp, L’art à l’ère de la reproduction mécanisée, Hazan, 1999, p. 158). Il est curieux de voir que la source vraisemblable de l’idée de cet objet rectifié n’ait pas été avancée dans la somme si érudite de Naumann.

*

A l’origine simulation « ludique » de « l’art de la guerre », le jeu d’échecs acquiert peu à peu à son profit le prestige accordé à un « art » à part entière. Le rapprochement avec la partition musicale existait aussi à l’époque de la déclaration d’Alekhine (cf. le roman de Nabokov). Marcel Duchamp a donc su exploiter de la façon que l’on sait des idées, des notions qui avaient déjà cours dans le monde des échecs et même dans le domaine littéraire. C’est bien la pensée singulière et le parcours  iconoclaste de Duchamp « artiste » et grand joueur d’échecs qui ont donné à ces notions la force et la résonance qu’elles ne pouvaient pas manquer d’avoir dans le profond bouleversement qu’il a lui-même provoqué au début du XXe siècle au sujet de la définition même de « l’Art ».

***

 

Le Grand Rêve

 

Roi et Reine conjugués

Les deux figures natives

 De l’unité retrouvée

*

Les deux figures actives

A l’essence retournées

 Roi et Reine conjugués

*

O Grands Couples malmenés

Homme et Femme – Blancs et Noirs

 En quête d’éternité

 *

Rois et Reines animés

Sur le plateau du désir

 Tel un grand rêve brisé

 

 A.C.

1 octobre, 2012

L’ALBERT MODERNE ou NOUVEAUX SECRETS…, 1769.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 18:07

 

 L’ALBERT MODERNE

 

L'ALBERT MODERNE ou NOUVEAUX SECRETS..., 1769. albertm1 

L’Albert moderne, ou Nouveaux secrets, éprouvés et licites… – A Paris : chez la Veuve Duchesne, 1769, 12°.

 

 L’Albert Moderne emprunte son titre au Grand Albert, un célèbre ouvrage de magie populaire attribué au théologien et encyclopédiste Albert le Grand (1200-1280). La rédaction du Grand Albert commence vers le milieu du 13e siècle et aboutit à sa forme définitive à la fin du 16e . Malgré la condamnation de l’Eglise, il connaît un grand succès et il est contamment réédité.

La première édition de l’Albert Moderne date de 1768. Son rédacteur est Pons Augustin Alletz (1703-1785), homme de lettres auteur de nombreux dictionnaires en littérature, en histoire, en agronomie. Il se défend, dans sa préface, de reproduire « les matières un peu trop libres »,  »les secrets » qui défient la raison ou ceux qui pourraient être utilisés à mauvais escient.

Le volume se divise en trois parties : secrets pour la santé, secrets utiles pour divers sujets, secrets pour l’agrément. Nous avons ainsi de nombreuses et étonnantes recettes qui vont des soins pour les cors aux pieds, le cancer, aux recettes permettant de varier les couleurs des roses en passant par le « Moyen de se faire un cadran naturel pour savoir quelle heure il est sans montre ni cadran ».

La bibliographie ne recense pas de résultats d’enquêtes de satisfaction qui auraient pu être menées auprès des lecteurs opérateurs…

 

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