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3 juin, 2024

Parole kanak – en 1869

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PAROLE KANAK – EN 1869

Nous présentons ici l’unique édition, rare, d’un des premiers livres imprimés sur la Nouvelle Calédonie :

Souvenirs de la Nouvelle Calédonie : Voyage sur la côte orientale, un coup de main chez les kanacks, pilou-pilou à Naniouni par Ulysse de La Hautière… , Paris, Challamel Aîné, 1869. 

Nous en avons extrait le chapitre XXIII qui  rapporte un conte que l’auteur a pu entendre lors d’une veillée réunissant une assemblée kanak.

calédonie

XXIII

Récit du Takata [sorcier]

        « Ouitchambi et Méoua furent fiancés à leur naissance. Ouitchambi était fils du chef de son village et Méoua la fille d’un des plus riches guerriers de ce même village.

Ils s’aimaient : aussi, dès qu’ils eurent atteint l’âge du mariage (1), ils furent unis. La vierge se lava dans l’eau (2) fournie par mon père, takata de la tribu, et Ouitchambi emmena Méoua dans sa case (3).

Mais les époux- amants violèrent le Tabou : Ouitchambi pénétra dans le malamo (4) pour y trouver Méoua, et les esprits de leurs familles les abandonnèrent aux génies malfaisants.

A la lune suivante, dans une fête, le chef de Mm’lé vit et aima la jeune femme de Ouitchambi : le chef de Mm’lé était plus puissant que Ouitchambi : il lui ravit Méoua.

Le chef de Mm’lé souilla Méoua et la renvoya ensuite à Ouitchambi : la pauvre n’était plus la même, car un génie lui avait enlevé le coeur (5).

Pendant ce temps, Ouitchambi avait envoyé le muaran (6) à tous ses guerriers, et lorsque Méoua revint au village, tous étaient réunis devant la case du chef, prêts au départ.

Ils étaient armés du n’jo (sagaye de combat), du dia (casse-tête) ; la ceinture à fronde, bien garnie de sangué (pierres à fronde), ceignait leurs reins. Leur poitrine et leur figure étaient enduites d’un noir luisant : leurs yeux brillaient d’une ardeur martiale.

Alors Ouitchambi leur parla en ces termes : guerriers, vous le savez, je devais, moi le premier, respecter le tabou : j’ai enfreint la loi sacrée, et les esprits m’ont sévèrement puni dans ce que j’avais de plus cher. Mais j’ai fait des offrandes aux esprit, qui sont apaisés. Faisons le djarick (7),  et si la guerre doit être favorable, je compte sur votre courage pour me venger, pour venger la tribu, de l’injure du chef Mm’lé.

Ces paroles de l’aliki furent accueillies par des cris tumultueux et des lelei ! plusieurs fois répétés. Tous brandirent leur casse-tête et conjurèrent les âmes : le takata, mon père, augura que l’action aurait une heureuse issue.

Le lendemain, à l’aube naissante, les gens de Ouitchambi arrivaient dans le village de Mm’lé. Ils poussèrent le hurlement de guerre, pour avertir les ennemis de leur arrivée, et, lorsque les deux partis furent en présence, les combattants, s’invectivant, agitant leurs armes au-dessus de leur tête, s’excitèrent à l’envi pendant longtemps.

Enfin Ouitchambi, sortant des rangs, s’adressa au chef de Mm’lé, en termes méprisants et, le défiant en combat singulier, fondit sur lui, rapide comme l’éclair.

La lutte fut terrible ; les deux chefs, jeunes, robustes et pleins de rage, se portaient des coups répétés ; tout-à-coup Ouitchambi tomba le crâne ouvert, et le chef de Mm’lé, au même moment, s’affaissa sur lui-même ; son corps n’était qu’une plaie : il expira peu après. Le takata rendit l’âme à Ouitchambi.

Le sort de Méoua fut plus cruel ; le takata, ayant conjuré les esprits, lui cracha, dans les yeux, des herbes mâchées, et lui rendit le coeur, mais les âmes des aïeux de Méoua n’avaient point pardonné ; souvent elles lui enlevaient le coeur : alors on voyait la malheureuse, parcourant les bois, en proie à la fureur, hurlant et criant, laissant aux ronces des sentiers des lambeaux de sa chair ; un jour, enfin, elle vit un wahurendaru (8) qui la mit à mort ».

***

1. Dix-huit ans pour les garçons ; seize ans pour les filles. 2. Lorsqu’une vierge doit s’unir, elle se lave dans une eau lustrale préparée par le sorcier de la tribu. 3. Le mariage se pratique, chez les Calédoniens, sans cérémonie aucune ; l’époux s’engage simplement à faire des présents aux parents de la femme, lors de certaines occasions, telles que la naissance, la circoncision des enfants à venir. 4. Case généralement en fort mauvais état, isolée, que l’on aperçoit un peu en dehors des villages, et où sont séquestrées les femmes pendant l’indisposition périodique. 5. Les Calédoniens placent l’intelligence dans le coeur ; aussi disent-ils que les génies « ont enlevé le coeur » des individus frappés d’aliénation mentale, affection d’ailleurs très rare chez nos indigènes. 6. Le muaran est une herbe bouclée que le chef envoie à ses guerriers pour les convoquer à la guerre. 7. Moyen très pratique de donner du coeur à leurs guerriers, employé par les chefs : avant le combat, le sorcier récite des prières, invoque les esprits, et annonce, toujours bien entendu, que le combat sera fatal aux ennemis. Dans le cas d’un revers, nos sorciers se tirent d’affaire par quelques ruses, avec non moins d’art que les Oracles dans l’Antiquité. 8. Sorte de revenant-sorcier, être palpable et malfaisant, frappant de mort les individus qui l’aperçoivent.

 

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