Un bibliophile lyonnais du XVIIIe siècle : Jean-Philibert Peysson de Bacot
Un bibliophile lyonnais du XVIIIe siècle :
Jean-Philibert Peysson de Bacot
La découverte récente d’un volume in-folio des Œuvres du juriste René Choppin (1537 – 1606) portant sur son contreplat supérieur l’ex-libris armorié de son ancien possesseur nous amène aujourd’hui à évoquer Jean-Philibert Peysson de Bacot (1… – 1770).
Il fut officier à la Cour des monnaies de Lyon en 1734 et procureur de cette même cour en 1752. Il se constitua une bibliothèque qui comptait 1750 titres lorsqu’elle fut vendue en 1779. Son ex-libris gravé sur cuivre est le suivant : « D’or au chevron de gueules sommé d’une croisette du même, au chef d’azur chargé d’un poisson d’argent », portant l’inscription : « Procur. General en la Cour des Monnoyes de lion ».
Au XVIIIe siècle, « on a estimé qu’une bibliothèque privée était d’importance moyenne, dès lors qu’elle répond à ce double critère : faire l’objet d’un catalogue ; ne pas dépasser 1000 titres » (Michel Marion, in : Histoire des bibliothèques françaises T. 2. Les bibliothèques sous l’ancien régime, 1530 – 1789 (Cercle de la Librairie, 2008).
Ce Catalogue aux 1750 numéros (A Lyon, chez Jacquenot, 1779), qui dépasse largement les mille items, est bien un indice de l’importance de cette collection à l’échelle de son possesseur puisqu’elle se situe déjà dans « la fourchette haute ». Cette bibliothèque ne peut évidemment pas rivaliser avec celle du marquis de Paumy puis d’Argenson (1722 – 1787) qui rassembla une collection de 100 000 volumes, ensemble jamais réuni par un particulier à la même époque. (Cette bibliothèque constitue aujourd’hui le fonds principal de la bibliothèque de l’Arsenal à Paris).
Cette collection lyonnaise n’en est pas moins riche de manuscrits et d’imprimés importants ou rares qui sont « à la hauteur » des plus belles bibliothèques, princières ou non. Nous allons en donner un simple aperçu en nous reportant aux numéros du catalogue numérisé que l’on peut consulter sur internet. Nous ne citerons ici que les manuscrits, les incunables expressément datés et des éditions de la première moitié du XVIe siècle, essentiellement. Les personnes désireuses d’en savoir plus peuvent consulter le catalogue en ligne (BM de Lyon/Google books).
Nous trouvons sous le n° 294 « Les Œuvres de René Choppin, trad. du latin, Paris, Guignard, 1662, 5 vol. in-fol. ». Le volume découvert, en reliure d’époque en basane, a pour titre : « Commentaire sur les coustumes de la prévosté et vicomté de Paris… Composés en latin par M. René Choppin… Tome III, A Paris, chez Jean Guignard, 1662, 2° », ce volume étant le troisième tome de l’édition complète du n° 294. Il faut donc constater que ce volume est bien un volume aujourd’hui malheureusement dépareillé.
MANUSCRITS :
En ce qui concerne les manuscrits, on relève six manuscrits liturgiques latins : un missel romain (n°73) et cinq livres d’heures enluminés (n° 79, 80, 81, 82 et 86) auxquels s’ajoutent deux manuscrits d’œuvres profanes : un manuscrit des Comediae de Térence (n° 723, « manuscriptus papireus, 2° ») et un manuscrit n° 920 intitulé « Alexandri Magni fabulae, manuscriptus membranaceus, 4° ».
Les manuscrits français sont au nombre de quatre :
N° 799 : Codicille de Jean de Meung, manuscrit sur vélin, avec des lettres en or, 4°.
n° 800 : Le songe de la Pucelle, en vers françois… manuscrit sur papier, 2°.
Poème moral du XVe siècle conservé aujourd’hui à la BnF (n° 12789).
n° 943 : Le Champion des dames, ou critiques du Roman de la Rose, composé en vers, par Martin [Le] Franc…, 2°.
n° 1166 : Légende dorée… de Jacques de Voragine. Manuscrit sur vélin, 2°.
Citons enfin pour mémoire le manuscrit italien
n° 876 : Poesie satiriche del Dotti, manoscritto, 4°. [Bartolomeo Dotti, 1651 - 1713].
IMPRIMES :
Le catalogue cite douze incunables datés :
Les n° 1 (Biblia sacra, 1478, aujourd’hui conservée à la BM de Lyon, Pellechet, inc. 118), 185 (Maillard, 1500), 587 (Pline, 1473), 652 (Tortelius, 1477), 724 (Térence, 1499), 732 (Virgile, 1480), 763 (Catulle, Tibulle…, 1481), 770 (Martial, 1482), 873 (Federico Frezzi, 1481), 942 (Francesco Colonna, 1499), 963 (Baudoin comte de Flandres, 1478), 965 (Aulu-Gelle, 1469).
Nous signalons enfin plus particulièrement ces éditions du XVIe siècle :
N° 78 Horae (impr. sur vélin,1522), 94 Horae (impr. sur vélin, 1522), 186 (Quadragesimale opus declamatum, Olivier Maillard, 1508), 187 (Sermones Dominicales, O. Maillard, 1516), 188 (Sommarium quoddam sermonum de sanctis, O. Maillard, 1516), 189 (Novum diversorum sermonum O. Maillard, 1508 ou 1509), 190 (Sermones quadragesimales, Michel Menot, 1526), 191 (Fructuossimi sermones, Gabriel Bareleter, 1507, 193 (Gemma praedicantium, Nicolas Denuze, 1522),
482 (La nef des princes & des batailles de noblesse, Symphorien Champier, 1502), 578 (La Nef de la santé, Nicolas de La Chenaye, 1507), 676 (Institutiones oratoriae, Quintilien, 1521), 758 (De rerum natura, Lucrèce, 1514), 778 (Les Triomphes de la France, Charles Curre, trad. de Jean d’Ivry, 1508), 796 (Le Roman de la Rose… translaté de rime en prose par Jean Molinet, 1503), 797 (Le Roman de la Rose, 1538), 863 (Sonetti & cansone, & triumphi…, Pétrarque, 1512), 933 (Le Grand roi de Gargantua, 1532), 944 (Le Labyrinthe de Fortune, Jean Bouchet, 1522), 960 (Histoire de Palmerin, Jean Maugin, 1513), 961 (Histoire du chevalier Tristan, 1514), 1270 (Historia di Milano, Bernardino Corio, 1503), 1299 (Les Passages d’Outremer par les François, Sébastien Mamerot, 1518).
Si le destin des ouvrages les plus précieux peut éventuellement être connu – comme celui de la Biblia sacra (n° 1, 1478), comme celui aussi du manuscrit français Le songe de la Pucelle (n° 800), pour ne citer qu’eux – il est vraisemblable que le destin de la plupart des autres n’est plus aujourd’hui directement repérable s’ils ne sont pas dans un fonds public ou mis à nouveau en vente chez un libraire contemporain. Bon nombre d’ouvrages moins rares ou moins recherchés des XVIIe et XVIIIe siècles ont certainement connu le destin des Œuvres de René Choppin aujourd’hui dépareillées et livrées à la brocante. Une fois de plus, les livres, comme les hommes, ont leur destin, souvent malheureux.
La possession d’une douzaine de manuscrits médiévaux, dont six en latin, enluminés, signale de fait les moyens importants du collectionneur et son goût, au-delà du contenu liturgique et pieux, pour l’art de l’illustration et peut-être la recherche et la comparaison des différents styles ou peintres éventuellement identifiés.
Jean de Meung (1240 – 1305), Martin Le Franc (v. 1410 – 1461) et la traduction française de la Légende dorée de Jacques de Voragine (1228 – 1298) montrent tout son intérêt pour les grands textes de la littérature médiévale en français. Il est intéressant de noter que s’il ne possède pas un manuscrit du Roman de la Rose de Guillaume de Loris et Jean de Meung, il possède néanmoins deux éditions anciennes de ce texte (n° 796, 1503 et n° 797, 1538). Ces deux éditions sont à mettre en rapport avec le manuscrit du Champion des dames de Martin Le Franc (n° 953) car cette oeuvre est une « critique » du Roman de la Rose, un plaidoyer en faveur de l’honneur des femmes malmené dans la seconde partie du célèbre Roman.
Parmi les incunables les plus rares et les plus connus, il faut citer Aulu-Gelle (entre 123 et 130 – v. 180) auteur des Noctes atticae dont Peysson de Bacot possédait l’editio princeps (n° 965, 1469), et Francesco Colonna (1433 – 1527) auteur du célèbre roman illustré Hypnerotomachia Poliphili (n° 942, 1499), autrement dit Le Songe de Poliphile, fameux voyage onirique vers l’île de Cythère.
Sur les 23 ouvrages de la première moitié du XVIe siècle que nous avons retenus, les 9 premiers ont un caractère religieux (2 livres d’heures : n° 78 et 94 ; 7 divers sermons : n° 186 – 191 et 193). Le moine franciscain et prédicateur Olivier Maillard (1430 – 1502) est le plus représenté (4 éditions). En ce qui concerne les éditions de ces sermons, il est difficile de savoir si ces œuvres ont été acquises pour leur contenu proprement dit ou pour le caractère de leur ancienneté (reliure, typographie…).
Sur les 14 textes restant, 10 sont des romans français (historiques, de chevalerie…), œuvres rares imprimées au début du XVIe siècle (n° 482, 578, 778, 796, 797, 933, 944, 960, 961 et 1299). Parmi eux, outre les deux éditions du Roman de la Rose déjà citées, il faut souligner la présence du rarissime livret de colportage intitulé Le Grand roi de Gargantua, les grandes chroniques du grand et énorme géant Gargantua [.] Pantagruel, les horribles et épouvantables faits de Pantagruel, fils de Gargantua, Lyon, Nourry, 1532, 8° (n° 933), le fameux texte anonyme dont Rabelais s’est inspiré pour créer son œuvre.
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Dans la succincte évocation de cette bibliothèque, nous nous sommes principalement intéressé aux ouvrages les plus anciens et à la littérature française. En pourcentage, les sections du catalogue se répartissant de la façon suivante : Théologie (13, 5 %), Jurisprudence (12, 8 %), Sciences et Arts (10, 8 %), Belles Lettres (22, 2 %), Histoire (40, 5 %), nous nous apercevons que c’est la section de l’Histoire qui emporte de fait les suffrages du collectionneur. Cette section précisément, comme l’ensemble de cette bibliothèque, mériterait une étude approfondie.
En ce qui concerne les objets de notre recherche, nous constatons que Jean-Philibert Peysson de Bacot a véritablement eu le goût, le désir et les moyens de se procurer des manuscrits enluminés et de rares et beaux témoins du premier siècle de l’imprimerie, alliant son goût de la bibliophilie à son vif et principal intérêt pour le « roman national » et peut-être aussi l’histoire de la langue. Ce choix du collectionneur explique peut-être l’absence presque totale des éditions des poètes français du XVIe siècle, hormis la présence des Tragédies de Robert Garnier (n°833, 1597) quand on relève dans le domaine italien les noms de l’Arioste, du Tasse, de l’Arétin, de Dolce, de della Porta et pas moins de quatre éditions de Pétrarque en italien de 1512 à 1582 (n° 863 à 866).
Le fait est encore plus flagrant si l’on fait une comparaison avec le Supplément du catalogue qui recense les 522 éditions d’un plus modeste collectionneur dispersées au même moment, celle de « feu Monsieur Jouvencel, ancien conseiller en la cour des monnoies », où on relève les noms de Joachim du Bellay, Octavien de Saint-Gelais, Estienne Jodelle, Clément Marot, Mellin de Saint-Gelais, Ponthus de Thiard, Rémy Belleau.
Habent sua fata libelli
A. Collet