« La Vénus à l’enfant » ou un « Brancusi » préhistorique
La Vénus à l’enfant ou un « Brancusi » préhistorique
La Vénus à l’enfant
Galet gravé : 7 cm x 5 cm x 1, 7 cm. La figurine elle-même mesure 5 cm.
Pièce issue d’une ancienne collection d’objets préhistoriques collectés à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle au Sahara central et méridional à laquelle sont joints des bracelets en pierre (schiste, stéatite) dont deux portent des inscriptions en tifinagh (langue touarègue ; Mali, Niger ?).
Si l’on admet que le traitement des Vénus est plus schématique et stylisé à partir de ce qu’il est convenu d’appeler le magdalénien (en Europe), l’oeuvre ici gravée pourrait se situer, dans le cadre chronologique propre à l’Afrique encore discuté, au sein de la période néolithique dont le début peut varier de – 10 000 ans à – 7 000 ans, selon les régions, avant le présent.
Nous préférons le terme de « Vénus » à celui de « Vierge ». Les deux éléments de la gravure de cette maternité sont incisés assez profondément et avec soin. Nous ne connaissons pas, à ce jour – même en Europe, de gravures équivalentes mettant de cette façon en scène une mère tenant son enfant dans son giron. Cet objet d’art mobilier préhistorique en est d’autant plus émouvant.
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La découverte de cette oeuvre ne peut pas ne pas nous faire penser à La Princesse X de Constantin Brancusi, sculpture en bronze poli réalisée en 1916. Libre à certains regardeurs de n’y voir que la représentation d’un phallus, car
« La Princesse X est [aussi] un portrait. On ne peut y rechercher une ressemblance quelconque, car il ne représente pas les traits extérieurs d’un visage. La tête, la nuque et le buste sont réduits à une courbe qui pousse comme une plante, pourvue à ses extrémités de deux formes ovales, comme des fruits mûris par le soleil. L’ovale du visage, légèrement incliné, correspond à celui des seins et on a l’impression que ces formes, d’une pureté géométrique, sont caressées par la lumière… « . Ionel Jianou, Brancusi, préface de Jean Cassou, Deuxième édition revue et remise à jour, Arted, Paris, 1982.
Le débat n’aurait pas étonné les artistes qui ont sculpté en ronde-bosse les célèbres Vénus préhistoriques. Ils ont eux-mêmes su, souvent, introduire une ambiguïté entre la représentation féminine et la représentation masculine. Tout est affaire de regard. Les sculptures des Vénus préhistoriques sont généralement interprétées comme étant des symboles de la fécondité, mais aussi, souvent, comme représentant des femmes enceintes. La gravure va ici au bout du processus de la maternité. Elle montre désormais la mère avec son enfant. Princesse X. 2, en quelque sorte…
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Ciselée avec soin sur un galet, cette gravure d’une facture si abstraite ne pourrait nous parler que comme un signe, un symbole « privé » d’émotion et pourtant il émane d’elle une infinie tendresse qui nous touche profondément. Si nous devions faire un rapprochement avec les Vierges à l’enfant de l’univers chrétien auxquelles nous échappons difficilement, c’est avec le tableau de Léonard de Vinci Sainte Anne, la Vierge et l’enfant Jésus que nous oserions le faire.
La sollicitude avec laquelle le visage de la Vénus préhistorique se penche sur son enfant retenu dans son giron par le bras étonnamment suggéré en la proximité des deux tracés, évoque, pour nous, le tableau de Léonard de Vinci. Mutatis mutandis bien sûr.
Chez le maître italien, l’attitude pleine de sollicitude à l’égard du fils se traduit aussi dans l’inclinaison du visage de la Vierge et par la position de ses bras allongés retenant l’enfant Jésus, même si l’ensemble du mouvement est ici plus largement déployé que dans la gravure chef d’oeuvre de concision, d’expression et d’affection.
Cette Vénus préhistorique à l’enfant est à l’expression du bonheur de la maternité ce que la Dame à la capuche de Brassempouy est à la genèse du visage dans l’art.
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« Si les hommes de la Préhistoire avaient su qu’ils étaient préhistoriques, ils auraient sombré dans une profonde mélancolie ». J’aime beaucoup cette pensée de Pierre Assouline. Mais heureusement et justement, l’art est là pour rétablir la situation. Aujourd’hui, avec le recul que nous avons (mais qu’est-ce que « ce recul » rapporté aux temps géologiques ?), nous savons que l’art est une réalité transhistorique et que cette réalité transhistorique remet la pendule de nos jugements à la seule heure de nos admirations et de nos émotions quelle que soit l’origine des oeuvres dans le temps comme dans l’espace. La Vénus « préhistorique » à l’enfant devient naturellement La Vénus à l’enfant qu’elle n’a jamais cessé d’être. L’oeuvre présentée ici en est une très belle illustration.
A. Collet.