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25 décembre, 2017

DE VERBI DIVINI INCARNATIONE 1720-1721

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TRACTATUS DE VERBI DIVINI INCARNATIONE

1720 – 1721

Traité de l’incarnation du verbe divin (extrait)

Nous mettons à la disposition des curieux et des chercheurs la traduction en français du dernier chapitre de ce traité de théologie en latin,  anonyme, du début du XVIIIe siècle (daté 1720-1721). Ce manuscrit, relié en basane comme un livre imprimé, de format 4°, comporte 427 pages.

Ce dernier chapitre – de 15 pages – traite du statut des images à travers les questions de la représentation et de l’adoration (ou non) de la croix et d’autres objets,  des images du Christ, de la Vierge et des saints. Ces débats furent à l’origine d’une grave et sanglante querelle entre les fidèles qui admettaient et ceux qui refusaient la représentation du divin. Cette querelle de l’iconoclasme sévit à Byzance pendant plus d’un siècle, de 730 à 843. Elle devait se renouveler au moment de la naissance du protestantisme. Cette querelle trouve un regain d’actualité aujourd’hui dans le domaine de l’islam.

Ce traité se présente comme une sorte d’abrégé sur le sujet théologique de l’incarnation du verbe dont le statut des images ne représente qu’une petite partie. Peut-être s’agit-il de l’aide-mémoire  d’un professeur pour l’enseignement dans un séminaire car il existait à l’époque plusieurs traités imprimés sur le même sujet. Ce dernier chapitre renvoie par ailleurs directement à la Somme théologique de Thomas d’Aquin dont il suit en partie les arguments et les développements.

Ces lignes, nous semble-t-il, restent très intéressantes du point de vue de l’histoire des idées et de l’histoire de l’art car l’issue du débat – l’acceptation et le culte des images – va conditionner tout l’avenir de l’histoire de l’art en Occident.

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Vierge à l’enfant, XVe s. ND de Myans (Savoie).

Caput tertium et ultimum de adoratione  Christi hominis

Chapitre III et dernier. De l’adoration du Christ fait homme

 

 Seconde proposition [relative à la question des images, p. 413-427]

 

Toute croix et toute image du Christ, comme représentation, doit être adorée selon le culte de latrie, à savoir ici le Christ Dieu fait homme de sorte que la croix elle-même et l’image du Christ comme telle soit l’objet final de la vénération, non pour elle-même, mais en raison de l’excellence du prototype vers lequel tend la plus haute adoration.

Cette proposition [est] fermement contre les iconomaques soit les plus sévères qui interdisaient non seulement que soient honorées mais encore conservées les images, soit plus souples qui [p. 414] certes écartaient l’adoration des images mais permettaient qu’elles soient retenues tantôt pour l’ornementation tantôt pour vivifier la mémoire.

Or, partagé en deux est l’avis des catholiques au sujet du culte des images : le premier, de Durand[1], qui pense que les images ne sont rien d’autre que des signes de commémoration en la présence desquels la piété est ranimée envers l’archétype. Mais cet avis paraît tout à fait renverser le culte des images ; un tel culte, ni les vieux iconomaques ni les récents qui cèdent aux erreurs de Calvin[2] ne le rejetteraient. L’autre avis, qu’après saint Th[omas][3] les catholiques admettent communément, enseigne que les images sont honorées à cause du prototype lui-même, pour que l’honneur soit rendu à l’image par laquelle il passe, et soit renvoyé à l’archétype représenté. Ainsi par un même culte et l’image en tant que telle et le prototype représenté seraient honorés comme un seul et même but de vénération : ainsi l’a pensé Bellarmin[4] quoiqu’il l’explique autrement.

La proposition est approuvée premièrement par l’autorité car la pratique de l’Eglise enseigne que les images doivent être retenues et vénérées par un culte, qu’un tel culte est conforme à la piété et juste, pratique de l’Eglise qui, comme dans la foi et les usages, ne peut se tromper. Il est de même arrêté au second concile de Nicée[5] [p. 415] qu’en vérité les images de Dieu, des Anges, du Christ, de la mère de Dieu et des saints doivent être conservées dans les temples en vue du culte et de la mémoire parce que – comme il fut délibéré – l’honneur qui sera rendu à l’image est restitué au prototype. La définition du concile de Trente[6] assure naturellement que ces images dans les temples doivent être placées, conservées et vénérées non parce qu’on croit, dit-il, qu’il existe quelque divinité ou force en elles, non parce que nous avons foi en elles et que pour ainsi dire par elles quelque chose fût mis en valeur ou à espérer – les gentils agissent ainsi envers leurs idoles, mais seulement les images sont honorées à cause de ceux qu’elles représentent pour nous. Les Pères enseignent la même chose. Car, dit Ambroise[7], « il agit sagement celui qui éleva et disposa la croix du Christ sur la tête des rois pour que dans les rois la croix du Christ soit adorée ». « Si quelque chose d’utile, dit Augustin[8], est établi de façon divine, on doit le vénérer parce que l’hommage qui lui est rendu revient au prototype ». « Le prêtre, dit Chrysostome[9], s’incline devant l’image du Christ ». S’il n’en était pas ainsi, l’image où deux chérubins étaient représentés sur l’arche de Dieu[10] serait condamnée, celle du serpent d’airain[11] – comme image du Christ – honorée.

[p. 416] Deuxièmement, la proposition est approuvée pour une raison négative. Si ce culte des images était mauvais, jusqu’à quel point précisément l’occasion existe pour le peuple ignorant d’adorer les images absolument et à cause d’elles, laquelle adoration serait une véritable idolâtrie ? Ils tremblaient alors de crainte là où il n’y avait pas lieu de craindre. Il est connu de tous qu’on ne doit pas rendre un culte à la croix ou à une autre image pour elle-même sous prétexte qu’il existerait en elles une force ou que par elles quelque chose serait offert ou à espérer, mais pourvu qu’ils aient l’être représentatif et qu’ainsi donc ils honorent l’original représenté, si un abus se glissait dans le peuple ignorant ce culte ne serait pas mauvais par lui-même mais par accident, et il importe aux prêtres de le corriger.

Troisièmement la proposition est bien approuvée au vu de l’exemple où assurément Bellarmin éclaire le cas de l’ambassadeur représentant le prince[12]. Car, primo, l’ambassadeur comme ambassadeur représente la personne du prince, et comme tel n’a pas d’autre fonction que cette représentation ; cette image en tant que telle représente le Christ et comme image n’est rien d’autre que la représentation du Christ. Secundo, les mêmes honneurs qui seraient accordés à l’ambassadeur pour le prince – [p. 417] ainsi le culte qui serait rendu au Christ en sa présence – de la même façon serait rendu à l’image du Christ. Tertio, l’ambassadeur est honoré à cause du prince, mais le prince à cause de lui est honoré dans l’ambassadeur, ainsi de même que les honneurs passent par l’ambassadeur pour aboutir au prince, de même l’image du Christ est honorée à cause du Christ. Le Christ, à cause de lui, est adoré en image de telle sorte que l’adoration passe par l’image pour parvenir au Christ. Quarto, ce n’est pas un crime de lèse-majesté que les honneurs royaux soient rendus à l’ambassadeur comme tel parce qu’ils ne sont pas établis pour l’ambassadeur à cause de lui et pour sa propre personne mais à cause du prince et comme représentant le prince. Ainsi, il n’existe pas d’idolâtrie parce qu’on adore l’image du Christ, parce que cette vénération n’est pas suscitée pour l’image à cause d’elle selon sa propre nature, mais à cause du Christ et de par son caractère de représentation du Christ. Quinto, le même hommage est rendu à l’ambassadeur et au prince parce qu’ils sont la fin absolue de l’hommage ; il est cependant différent dans sa façon de procéder, car l’ambassadeur est honoré relativement au prince et à cause du prince, le prince absolument et pour son propre compte. L’adoration qui est suscitée pour le Christ et son image est égale en son genre [p. 418] et son but absolu ; elle est différente dans sa façon de procéder parce que l’adoration de l’image est suscitée relativement au Christ et à cause du Christ, mais pour le Christ et pour son propre compte.

De là, primo, l’image peut non seulement être considérée comme être représentatif mais encore selon son être naturel et selon son être moral. Si on la considère selon son être représentatif, elle doit être honorée par un culte relatif, oui, mais par un culte où le modèle est honoré absolument et pour son propre compte. En quelque sorte, l’intention de l’agent est ainsi portée comme en son moyen et sa fin pour qu’elle parcoure cet intermédiaire jusqu’à son terme. Si l’image est considérée selon son être moral, à savoir comme quelque chose consacré au culte divin d’après le bon plaisir des hommes[13], elle doit convenablement être traitée comme signe remémoratif par lequel la piété est animée et louée. Donc quand les images sont assignées au culte de Dieu, il est mauvais de les traiter sans respect ; l’image qui dans l’atelier du marchand pouvait être mise en morceaux, dans les temples ne peut être mal traitée impunément. Si enfin l’image est considérée selon son être naturel, nul honneur ne lui est dû ; en effet de quel honneur est digne une toile peinte ou une statue de bronze ?

[p. 419] De là, secundo, la vraie croix sur laquelle évidemment le Christ de fait est suspendu, doit être adorée par le culte de latrie comme l’enseigne saint   Th[omas] 3a parte Ques. 25a Ar. 4 : « La croix, dit-il, de deux façons doit être vénérée par nous, l’une naturellement en tant qu’elle représente pour nous la figure du Christ allongé sur elle, l’autre en raison de son contact avec ses membres et avec son sang répandu, voilà le culte de la vraie croix qui doit être suscité par ce qui rappelle le Christ ; d’où de l’une ou l’autre façon le culte est rendu par l’identité avec le Christ, et à cause de cela, oui, nous exhortons la croix et sollicitons pour ainsi dire le crucifié lui-même ».

De là, tertio, toute croix doit être honorée comme l’image du Christ comme par sa destination elle n’a pas d’autre être que d’être représentative de la passion du Christ. Donc la croix fait un tout adorablement et constitue le terme de l’adoration d’où, dit Damascène[14], « j’adore le roi avec la pourpre, et à cause du roi j’honore la pourpre ».

De là, quarto, est prouvée la diversité du culte montrée pour l’humanité du Christ et la croix ou l’image du Christ. Car l’adoration est portée à la nature humaine du Christ pour qu’elle se place en elle comme en une chose élevée jusqu’à l’être personnel du Verbe ; elle tend vers l’image non pour se placer en elle – comme elle ne s’étend pas jusqu’à l’être du Verbe – mais pour qu’à travers elle [p. 420] l’adoration passe jusqu’à ce qu’elle parvienne à son vrai terme, oui, arrive au Christ représenté par l’image. Et pour cette raison Bellarmin enseigne que le culte dû à l’image est inférieur au culte dû au prototype par ce que l’un est absolu tandis que l’autre est relatif[15].

De là, quinto, le signe de croix dans l’air ou sur le front ou de quelque manière qu’il soit exprimé est un signe sacré et vénérable. Car, au témoignage d’Augustin, « le sang de l’agneau sur les portes des maisons dont il est fait mention dans l’Exode ne signifie rien d’autre que le signe de la croix aux fronts des chrétiens »[16]. « Frottons notre front du petit signe de la croix » dit Tertullien[17]. « Fais ce signe, dit Cyrille[18], en mangeant et en buvant, assis et debout, en parlant, en marchant et dans n’importe quelle activité ». « Par le signe de croix, dit Athanase[19], toute magie est réprimée ». « Par un petit signe de croix, dit Jérôme[20] à Demetriade, fortifie souvent ton front ». De là enfin on ne dit pas d’adorer les images des saints même si on le comprend pour un culte secondaire. On doit éviter cette façon de parler qui attribue à la créature ce qui est à Dieu seul. Le nom d’adoration selon l’usage reçu dans l’Eglise est attribué à Dieu seul. Donc, n’offensons pas les pieuses oreilles des catholiques et n’offrons pas aux hérétiques l’occasion [p. 421] de nous calomnier plus facilement.

Résolution des objections

I

Obj[ections].  [Primo], Dieu a interdit que l’on fasse des images ou des statues : « Tu ne feras pas pour toi, dit-il, une statue pour l’adorer »[21]. Secundo, Ezéchias[22] a réduit en cendres le serpent d’airain dressé par Moïse. Tertio, de nombreux prélats ont non seulement interdit les images mais les ont fait brûler. Le culte des images est donc interdit.

R[éponse] au premier point. Je distingue. « Tu ne feras pas pour toi de sculpture », c’est-à-dire un simulacre qui représente un dieu qui n’est pas Dieu, pour l’adorer,  j’acquiesce, à savoir tu ne feras pas d’autres dieux en lesquels tu croiras. C’est-à-dire, tu ne feras pas une image qui représente le vrai Dieu comme il apparut enfin clairement, je le nie, de fait Dieu l’a interdit parce qu’ils adoraient comme des dieux des dieux qui ne l’étaient pas, ou parce que dans la même image ils pensaient qu’il s’y trouvait quelque divinité. D’où les Juifs déclaraient avec force, « Fais-nous des dieux qui nous ouvrent la marche »[23].

[Réponse] au second point. Je distingue. Ezéchias a brisé le serpent par hasard, c’est-à-dire en raison des circonstances pressantes du moment, pour que le peuple disposé à l’idolâtrie n’honore pas le serpent comme une idole, j’acquiesce, il a brisé le serpent en lui-même et de par sa nature dans la mesure où il figurait le Christ et était honoré relativement au Christ, je le nie, les Juifs pensaient qu’une force résidait dans ce serpent d’où ils étaient disposés à l’honorer absolument.

[p. 422] [Réponse] au troisième point. Je distingue. Les responsables ont agi ainsi l’image l’exigeant par elle-même, je le nie, en raison des circonstances pressantes du moment, plus, ils interdirent les images par hasard, j’acquiesce, les interdisant, dis-je, parce que de nombreux fidèles vénéraient absolument ces images et en elles y portaient leur croyance, mais surtout parce qu’ils jugeaient scandaleux que les païens adorent les images comme des idoles.

II

Obj[ections]. [Primo], dans les premiers siècles, on n’employait aucune image. Secundo, Augustin condamne ce culte : « J’ai su, dit-il, que nombreux étaient les adorateurs des monuments funéraires et des peintures »[24]. Tertio, de nombreux Pères enseignent que cet usage était interdit par les chrétiens : « Il est mauvais, dit Damascène, d’honorer les images »[25]. Quarto, le septième synode[26] a défini que les images pouvaient certes faire l’objet d’un culte, mais non celui de latrie. Ainsi donc.

R[éponse] au premier point. Je nie absolument, car dans les premiers siècles, une image du bon pasteur existait dans la pyxide où la sainte eucharistie était conservée. Mais je distingue. L’usage des images était ensuite interdit par hasard et au vu des circonstances, j’acquiesce, il fut interdit simplement, je le nie, à savoir,  à l’époque où la superstition des païens était prédominante, les images furent interdites pour que les chrétiens eux-mêmes ne paraissent pas adorer les idoles.

[Réponse] au second point. Augustin l’a interdit tantôt parce qu’ils pensaient que quelque force existait dans les images, tantôt parce qu’ils considéraient que toute la religion consistait dans ce culte des images, tantôt [p. 423]  parce qu’ils adoraient celles-ci absolument à la façon des païens.

[Réponse] au troisième point. Je distingue. Il est mauvais d’honorer les images absolument et à la façon des gentils comme s’il y avait quelque chose à en espérer, j’acquiesce, il est partout mauvais de les honorer par un culte, je le nie.

[Réponse] au quatrième point. Cette définition est tout à fait importante. Utilisée par l’Eglise, nous devons la suivre mais conformément à cet usage : on ne doit pas dire que les représentations du Christ doivent être l’objet simplement et absolument d’un culte de latrie, mais seulement, à certains égards, d’un culte relatif de latrie à cause du prototype dont l’adoration est accordée avec raison, ce que nous reconnaissons hautement.

III

Obj[ections]. [Primo]. Si nous pouvons et devons adorer la vraie croix qui fut l’instrument de la passion du Christ, nous sommes tenus également de vénérer toutes les croix. Si nous honorons toutes les croix, donc tous les clous, toutes les épines, toutes les lances, tous les tombeaux, toutes les étables parce qu’ils furent soit les instruments de la passion soit ceux de la nativité du Christ, de même que toutes les croix représentent la vraie croix, de même toutes les épines représentent les vraies épines, il s’ensuit logiquement que c’est absurde[27]. Ainsi donc. Secundo. Si nous devons adorer la vraie croix où le Christ fut suspendu, tous les ânons doivent l’être parce que le Christ s’est déplacé sur un tel animal. On doit encore adorer la main du garde qui osa souffleter le Christ, on doit adorer la bouche de [p. 424] Judas qui embrassa le Christ parce qu’elle est sanctifiée non moins que la croix elle-même par le contact du Christ. Mais on ne peut rien imaginer de plus impie. Ainsi donc. Tertio. De ce que le verbe fait chair vécut neuf mois dans le sein de la sainte Vierge, on ne doit pas à cause de cela adorer la sainte Vierge du culte de latrie[28]. Par conséquent le bois de la croix ne doit pas être honoré du culte de latrie à cause du contact du corps du Christ. Quarto. Il serait insensé si un fils exhibait la fourche patibulaire où son père est suspendu parce que c’est un instrument d’opprobre et de douleur[29]. Les Juifs qui se réjouissent de la mort du Christ adoreraient la croix. Les chrétiens qui détestent cette mort seraient pris d’effroi. C’est assez. Claude de Turin[30], Wyclif[31], Luther[32] et Calvin.

R[éponse] au premier point. Nous devons adorer la vraie croix tantôt parce qu’elle est l’image de la passion du Christ, tantôt parce qu’elle est baignée par le sang du Christ. Toutes les croix doivent être honorées également parce que toutes sont des images du Christ mourant. Je nie toutefois à cause de cela la vénération de toutes les épines, de toutes les lances, parce que toutes celles-ci ne sont pas les images de la lance qui perça la poitrine du Christ, que tous les clous représentent le Christ mourant et que toutes les étables sont les images de la naissance du Christ. Car la ressemblance ne suffit pas à l’image, il est demandé outre cela qu’une chose [p. 425] soit exprimée par une autre, d’où on ne dit pas qu’un frère est l’image de son frère bien qu’ils se ressemblent, parce que l’un est rendu vrai par l’autre ; et puis on dit qu’un fils est l’image de son père non seulement parce qu’il lui ressemble mais encore parce qu’il est né de lui. Eh bien toutes les croix représentent la vraie croix à laquelle le Christ fut attaché. Comme ils eurent d’autres usages, les clous et les étables ne représentent pas les clous qui crucifièrent le Christ et l’étable où le Christ est né. Si l’étable représentait la naissance du Christ ou la colonne sa flagellation, alors ils seraient l’image du Christ et donc ils devraient être honorés. En outre la colonne ou l’étable ne sont jamais représentés sans le Christ, quoique la croix l’est sans le Christ parce que la croix encore seule présente le Christ crucifié et de fait elle n’a pas d’autre usage que d’être ainsi représentative. D’où celui qui voit la croix, aussitôt, comprend fort bien ce qu’elle signifie ; mais celui qui voit une colonne peut reconnaître qu’elle montre soit la colonne du Christ, soit la colonne Trajane, soit la colonne d’Hercule. Saint Athanase rapporte une autre raison. « Les chrétiens, dit-il, adorent les images de la croix plus que celles des lances et d’autres instruments [p. 426] parce que si les gentils nous accusent d’adorer du bois, nous pouvons sans tarder en retour séparer les deux branches de la croix et ainsi la figure de la croix supprimée, tenir pour rien ces deux bois afin de montrer que nous adorons non pas les bois mais l’image du crucifié ».[33]

[Réponse] au second point. Je nie la suite parce qu’entre les choses utilisées par les saints, ces témoins ne sont pas estimés qui de par leur nature sont jugés incompatibles avec une sainte vénération : il en est ainsi de l’âne où le Christ fut assis, des lèvres de Judas qui touchèrent dans un baiser le Christ, de la main qui lui donna un soufflet, parce que tout cela selon une appréciation morale n’apporte pour tout dire aucune consécration, ne contient aucune présence morale. Ainsi avec vénération est reçu le glaive du héros, non son cheval. Les lèvres de Judas[34], la main de l’impie ne sont pas seulement des instruments de la passion du Christ, mais parties intégrantes des impies. On ne peut donc les honorer comme instruments de la passion sans paraître honorer des hommes impies. Mais la croix par sa nature est sans reproche, son être tenant par lui-même.

[Réponse] au troisième point. Plus saint et sacré que le bois de la croix [p. 427] est le corps de la sainte Vierge ayant abrité le corps du Christ ; cependant le culte de latrie relatif attribué à la croix ne doit pas l’être au corps de la sainte Vierge, afin évidemment qu’elle ne paraisse pas être l’objet d’un vrai culte comme une déesse. Mais de même cela n’est pas à craindre dans un mal supposé et sans fondement où nous pouvons voir l’absence de perfection morale, d’excellence, de sentiment divin.

[Réponse] au quatrième point. Je distingue. Il serait stupide celui qui afficherait la fourche patibulaire de son père, si c’était le cas, quand ordinairement elle concerne un instrument d’infamie, et que son père serait mort invaincu, j’acquiesce. Si, comme pour le Christ, elle avait été l’instrument de la victoire, le signe de gloire et la cause du triomphe, et s’il avait surmonté la mort parce qu’il l’a voulu, je le nie. « Mais il faut nous glorifier, dit l’Apôtre[35], dans la croix de Notre Seigneur Jésus Christ ».

Nous délivrons des ténèbres le grand mystère n’importe où à cause de notre savoir, d’une foi assurée, à notre mesure. Les ombres dissipées, un jour heureux resplendira enfin, nous contemplerons le Verbe incarné tel qu’il est.

 

FIN. 1721


[1] Durand de Saint-Pourçain, Guillaume, 1275  – 1334,  In Sententias theologicas Petri Lombardi Commentariorum Libri III, d. 9, q. 2.

[2] Calvin, Jean, 1509 – 1564.

[3] Saint Thomas d’Aquin, 1225 – 1274, Somme théologique, 3e partie, question 25, articles 3, 4.

Edition de référence : Somme théologique,  Le Verbe Incarné, T. 3, 3a, Questions 16 – 26 , Desclée & Cie, 1954. Traduction du R. Père. Ch-V. Héris, O. P.

[4] Robert  Bellarmin, 1542 – 1621, De Ecclesie triumphante, Lib. II, cap. XXI. Par la consécration de l’image.

[5] Second concile, 787.

[6] Concile de Trente, 1545 – 1563.

[7] Saint Ambroise, v. 340 – 397, De Obitu Theodosii, n° 46 et 48.  Allusion d’Ambroise à l’un des clous de la croix attaché par sainte Hélène au diadème de Constantin.

[8] Saint Augustin, 354 – 30. De doctrina christiana L. 3, c. 9. Contre Fauste, Livvre XX, chap. 21.

[9] Saint Jean Chrysostome, v. 344 – 407, Liturgie de Saint Jean Chrysostome.

[10] Exode, 25, 18 – 22. Epître aux Hébreux, 9, 5.

[11] Nombres, 21, 6 – 9. 2 Rois, 18, 4.

[12] Cité par François de Sales, L’Etendard de la Sainte Croix, Livre IV, chap. 12.

[13] Cf. note 5.

[14] Saint Jean Damascène, 647  – 749, Oratio I de Imaginibus.

[15] Cf. notes 5 et 14.

[16] Le livre des vingt-et-une sentences ou questions, II.

[17] Tertullien, v. 155  – v. 222, Contre Marcion, Livre III, chap. 22.

[18] Saint Cyrille de Jérusalem, v. 315 – 386, Catéchèse, 8.

[19] Athanase d’Alexandrie, v. 295 – 373, Vie de saint Antoine.

[20] Saint Jérôme, v. 347 – 419 ou 420. Lettres, n° 22., Lettre à  Demetriade.

[21] Exode 20, 4.

[22] Ezéchias, roi de Juda. 2 Rois, 18 : 4.

[23] Exode, 32, 1.

[24] Des mœurs de l’Eglise catholique, Livre I, chap. 34.

[25] De fide orthodoxa, Lib. 4, cap. 17.

[26] Second  concile de Nicée, 7e œcuménique.

[27] Cf. saint Thomas, Somme théologique, 3e partie, Question 25, Article 4, Difficulté 3.

[28] Cf. saint Thomas, Somme théologique, 3e partie, Question 25, Article 5.

[29] Cf. saint Thomas, Somme théologique, 3e partie, Question 25, Article 4, Difficulté 1.

[30] Claude de Turin, v. 770 – 780 – 827 ou 828.

[31] Wyclif, John, v. 1330 – 1384.

[32] Luther, Martin, 1483 – 1546.

[33] Question et  réponse  au prince Antiochus, n° 38. Cité par saint Jean Damascène et par le second concile de Nicée.

[34] Judas Iscariote, Ier s.

[35]  Saint Paul, Epître aux Galates, 6, 24.

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