au livre bleu

26 avril, 2012

« Les Délices de l’Italie » (1707), une source du peintre De Chirico ?

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Les Délices de l’Italie (III)

Naples

Rogissart, Alexandre de. – Les Délices de l’Italie, contenant une description exacte du Païs, des principales Villes, de toutes les Antiquitez, & de toutes les raretez qui s’y trouvent.Ouvrage enrichi d’un tres-grand nombre de Figures en Taille-Douce. Tome troisième. – A Paris : par la Compagnie des libraires, 1707. – 12°.

 Troisième volume d’un grand guide touristique qui en compte quatre, avec 47  gravures sur cuivre dont certaines sont dépliantes.

La gravure que nous reproduisons en premier est celle de la fontaine de Medina   »vis à vis le Castro Nuovo. Ce sont trois graces qui soûtiennent un vaste bassin, du milieu duquel il s’éleve une statuë de Neptune, accompagné de deux chevaux marins qui jettent l’eau par les narines. Ce dieu est armé d’un trident d’où l’eau sort avec impétuosité : toutes ces figurent font plaisir. »

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Cette gravure est particulièrement intéressante, moins pour la fontaine qui en constitue le sujet  »désigné » que pour l’ensemble de la représentation qui évoque irrésistiblement les tableaux métaphysiques du peintre De Chirico et particulièrement la série dite des « Places d’Italie ».

On ne peut pas en effet ne pas être frappé par certaines similitudes : une place avec une fontaine centrale - accordée ici au thème de la sculpture monumentale, une place où évoluent quelques personnages seulement, un grand espace presque vide entouré à droite de hauts bâtiments en enfilade aux arcades désertes et sombres, bordé à gauche d’un haut mur crénelé et de deux tours. Le mur se poursuit longuement en perspective jusqu’au port et à sa digue où s’élève à nouveau une tour ou un phare disposé face à la mer. A gauche, au fond, sur une ligne d’horizon haut perchée, un navire… comme il en passe souvent à l’arrière-plan de plusieurs tableaux du peintre.

Les dimensions démesurées de l’architecture par rapport aux personnages accentuent le caractère d’étrangeté d’un espace où le temps semble s’être arrêté.

Le canon tourné du côté de la place ne manque pas d’être surprenant. Il nous amène à penser, même avec toute la prudence qui s’impose tant les deux oeuvres diffèrent dans le détail, au tableau intitulé « La conquête du philosophe » (1914), où précisément un énorme canon apparaît du même côté du tableau, avec au fond à gauche, les voiles d’un navire, en concurrence, il est vrai, avec un train, au centre.

 

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La passion que le peintre a toujours éprouvée pour les chevaux sans bride, libres de toutes entraves, symboles de la liberté, est peut-être aussi à mettre en relation avec la ville de Naples. Une ancienne et grande statue de cheval en bronze « étoit autrefois dans la place qui est vis à vis sainte Restitude. Ce cheval représentoit la ville de Naples qui porte un cheval pour ses armes. » Il ne reste plus aujourd’hui que la tête de ce cheval conservée de nos jours au musée archéologique de la ville…

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L’image de ce buste a peut-être inspiré la présence et le profil des trois bustes de cheval  disposés de la même manière dans le tableau intitulé « Constructeurs de Trophées » (1928/1929) (Milan, Civico Museo d’Arte Contemporanea).

 

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D’autres rapprochements peuvent être effectués, comme par exemple les nombreux fanions qui surmontent les tours du peintre et que l’on retrouve sur les bâtiments des gravures.

 Mais un monument retient plus particulièrement notre attention, tant pour l’atmosphère de l’image que pour l’homologie de la structure et plusieurs détails : il s’agit de l’Obélisque de St Janvier que nous pouvons comparer au tableau intitulé « Le Grand métaphysicien » (1917) !

Au niveau de la structure des images, plusieurs éléments correspondent : la ligne basse de l’horizon,  la profondeur du champ, la place et la hauteur démesurée de l’obélisque surmonté du saint,  les bâtiments traités en grisé à gauche sur la gravure, en noir sur le tableau, les parties « éclairées » étant majoritairement au milieu et à droite.

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En ce qui concerne les rapprochements « de détail », en dépit du caractère totalement nouveau et étrange de la représentation de ce grand métaphysicien aux attributs non moins curieux et variés, on ne peut pas ne pas trouver une ressemblance entre la moitié supérieure de la statue du saint au sommet de l’obélisque et la disposition du mannequin au sommet de l’édifice chiriquien ; la crosse de l’évêque à gauche  de sa tête et sa main bénissante à droite trouvent aussi leurs correspondants matérialisés sur le tableau du peintre. Au milieu de l’élévation picturale, même le matériau de couleur rouge en forme de  tissu ou de cordon géant peut renvoyer à la forme arrondie et striée de l’étage central de l’obélisque.

Le seul personnage au premier plan à droite de l’obélisque reste le seul personnage à droite sur le tableau, mais relégué loin à l’arrière-plan, disposé de la même façon.

 

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 Il est difficile de penser à de simples « coïncidences ». Autre point important : un tableau conservé au Museum of Modern Art de New York s’intitule : « Les Délices du poète » (1913). Il fait partie des premiers tableaux de la période dite métaphysique du peintre. Grâce au mot délices, un lien direct est de fait établi entre une oeuvre du peintre et le titre de notre ouvrage. Avant d’être les délices d’un poète,  les gravures de ce volume  des « Délices de l’Italie » ont fait les délices du peintre Giorgio de Chirico… Sauf erreur ou omission de notre part, ces points de convergence ne semblent pas avoir été repérés à ce jour. Nous pensons que De Chirico n’a pas pu ne pas avoir connaissance de ces gravures.

 Le dessin adopté selon la priorité ou non des sujets  -  en épure pour le cadre général, détaillé pour le monument décrit en particulier –  est à l’origine d’une « atmosphère » qui n’était certainement pas perçue par les contemporains de la même manière que nous le faisons aujourd’hui, car ces gravures étaient les « photographies » du reportage de l’époque, les reproductions nécessaires à l’illustration du texte.

Ainsi, ces gravures ont stimulé l’imaginaire du peintre dans une direction qu’il était déjà enclin à suivre de lui-même, à moins qu’elles n’aient été – dès 1910- le déclic visuel, artistique, à l’origine même de ces représentations métaphysiques propres au peintre.

Chi ricco lo sa ?

4 avril, 2012

L’image du livre dans le livre aux 17e et 18e siècles.

Classé dans : Non classé — aulivrebleu @ 7:16

 

Dans la bibliothèque du savant et de l’érudit

 

L'image du livre dans le livre aux 17e et 18e siècles. P10305301 

 Lettres choisies de feu Mr Guy Patin Docteur en médecine de la Faculté de Paris, & Professeur au Collège Royal… – A Cologne : chez Pierre Du Laurens, 1691. – 12°. (3 vol.).

Frontispice gravé sur cuivre en tête du premier volume de ces Lettres.

 

Guy Patin, médecin et homme de lettres (1601-1672), est connu aujourd’hui par la correspondance qu’il a entretenue avec les principaux savants de son époque.

 Sa verve et sa liberté de ton sur tous les sujets abordés font de lui un philosophe « libertin », c’est à dire libre de tout préjugé. Ainsi : « La Cour est une belle putain qui donne bien souvent à ses amoureux des cassades [mauvaises excuses, défaites] & de belles espérances. Pour moy j’aime bien mieux mes livres qui font ma tranquillité plus sure, & qui feront peut-être celle de mes enfans. Il est vray que je n’en seray pas plus riche : mais aussi, j’en auray moins d’inquiétude » (Lettre CIII, 22 février 1656). Et encore, L. CXVII, 9 avril 1658 : « Je pense que de tout tems on a trompé le monde sous prétexte de Religion. C’est un grand manteau qui affuble bien des pauvres & sots animaux. »

Guy Patin avait une belle bibliothèque d’environ 10 000 volumes. Il semble que ce soit lui le premier qui ait employé le terme de « bibliomanie » : « A propos de Livres, voulés-vous bien me faire la grace de m’acheter à Lyon les Livres dont je vous envoye la note.  Ma Bibliomanie vous fait souvent de la peine ; peut-être que je serai plus sage & plus supportable l’année qui vient. » (Lettre LXXXIII, 1er mai 1654).

La gravure représente ici le savant ou l’érudit dans son cabinet de travail, entouré de tous les livres qu’il a  lus ou écrits. Les volumes tapissent les deux murs de l’espace ici représenté. Ce sont des livres pour la plupart du grand format dit « in folio », de gros livres qui sont les sommes du savoir passé et présent. C’est une image conventionnelle de l’auteur en majesté assis à sa table de travail où l’on voit une écritoire portant une feuille de papier déjà écrite, un carnet et un encrier avec sa plume. Cette image est elle-même l’écho lointain des représentations des quatre évangélistes peintes dans les manuscrits médiévaux.

Une clochette et un sablier figurent aussi sur la table. Le sablier est un rappel du temps qui passe, le signe discret d’une « vanité » qui rappelle à l’homme, quel qu’il soit, sa condition de mortel, même si l’auteur célébré tient sur ses genoux le livre qui lui permet de passer à la postérité. Le rideau peut être un rappel du voile du Temple de Jérusalem  qui cachait le Saint des Saints ; il n’est pas aujourd’hui déchiré dans une perspective eschatologique mais simplement tiré  à droite pour laisser apparaître les nouvelles connaissances profanes livrées aux lecteurs avides de savoirs. Symbolique ou décoratif, il souligne le caractère théâtral de la mise en scène.

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Dans la boutique du libraire

 

P1030533

 

Le Petit Paroissien, contenant l’Office complet des dimanches et fetes… En Latin & en François. Selon l’usage de Paris & de Rome. En 4 volumes. Partie du Printemps. – A Paris : chez Louis-Guill. de Hansy, sur le Pont au Change, à S. Nicolas,  [1768]. – 12°.

Frontispice gravé sur cuivre en regard de la page de titre imprimée.

 

Sous l’Ancien Régime, le libraire était souvent éditeur. Nous ne voyons ici que la boutique de vente de  l’entrepreneur. Le nom et l’adresse de l’éditeur figurent dans un cartouche dans la partie inférieure de la représentation. Cette image publicitaire répète, en les illustrant, les mentions déjà imprimées sur la page de titre : le nom, le lieu, l’enseigne de saint Nicolas ; elle les complète en ajoutant la nature des livres proposés et les titres de quelques nouveautés (sous l’image).

La mention de vente de livres religieux sur le Pont au change n’est pas un hasard. Le Code de la librairie de 1744 souligne que le périmètre réservé, à Paris, aux boutiques des libraires, est le quartier de l’Université et l’intérieur du Palais de la Cité. En dehors de ce périmètre, aux environs du Palais, sur le parvis de Notre-Dame, sur le Pont au change et le quai de Gesvres, ne pourront être vendus par les libraires que des heures, des petits livres de prières, des édits, des déclarations et des arrêts. Il s’agissait bien entendu, pour le pouvoir royal, de contrôler au plus près la production et la vente des livres.

L’image fait coexister en les juxtaposant de manière fictive l’espace intérieur, l’intérieur du magasin, au premier plan, et l’espace extérieur, une représentation partielle du pont surmonté de ses bâtisses, visible en perspective au second plan par une ouverture monumentale. On discerne trois barques sur le fleuve.

A l’intérieur, de chaque côté, les rayonnages chargés de livres qui paraissent tous identiques montent jusqu’au plafond. La petitesse de la représentation permettait difficilement une individuation. On distingue cinq personnages, deux employés, un homme et une femme derrière les banques et trois clients. Un ecclésiastique assis à gauche sur une banquette, un livre sur les genoux,  tourne la tête en direction de l’employé tourné, lui, vers les étagères ; en face, l’employée tenant un livre en main s’adresse à une jeune dame assise sur un fauteuil ; derrière elle, sur une sorte de tabouret, un homme en perruque consulte un livre.

L’impression générale donnée par la gravure est celle d’un magasin calme, spacieux, bien achalandé, où les employés sont au service des clients qui peuvent faire leur choix en prenant leur temps tout en étant bien installés pour consulter les ouvrages. Il s’agit d’une image publicitaire qui, sans être mensongère, est vraisemblablement assez idéalisée.

 

 

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