Joseph Dunaime, Recherches étymologiques, XIXe siècle
Le manuscrit inédit de Théodore Emile Joseph Dunaime
intitulé Recherches étymologiques (XIXe siècle)
[Ce texte est l’avant-propos d’un travail à paraître intitulé « Discours préliminaire ou Introduction extrait du manuscrit inédit de Joseph Dunaime intitulé Recherches étymologiques (XIXe siècle). Transcrit et édité par Alain Collet »].
La science étymologique est sans doute une des branches les plus intéressantes de la philologie. J. Dunaime
Le manuscrit se présente sous la forme d’un fort volume de plus de 850 pages reliées en demi basane, de format in-4°, non daté. Le titre manuscrit complet, « Recherches étymologiques ou Essai sur l’origine de la langue grecque et de la langue latine comparées avec les idiomes de l’ancien monde. Par Th. Em. Joseph Dunaime », met en exergue « Joseph » son troisième prénom. Il se compose de plusieurs parties dont nous donnerons plus loin le détail. Qui était Joseph Dunaime ? En l’absence, à ce jour, d’éléments biographiques bien identifiés, nous sommes obligé de nous reporter à ce que lui-même nous dit de lui sur les pages de titre de deux ouvrages imprimés où, paradoxalement, il n’emploie pas le même prénom :
De l’état de la littérature actuelle, et notamment du romantisme, satire adressée à M. M***, ancien magistrat, par Em. Dunaime, ex-maître de conférences de rhétorique à l’ancien collège de Sainte Barbe, philologue et naturaliste, Paris, Charpentier, 1840,
et
Début poétique par T. E. Dunaime, Paris, Charpentier, 1841,
où il se présente comme le neveu de Charles Guillaume Etienne (1777 – 1845), auteur dramatique, journaliste, académicien, député et pair de France. Une seconde édition du même ouvrage est publiée en 1842 chez le même éditeur mais cette fois intitulé Essais poétiques.
Les mentions par nous soulignées sur ces pages de titre confirment bien qu’il s’agit d’une seule et même personne soucieuse d’une certaine réserve auprès du public en jouant avec ses trois prénoms. Mais cette compréhensible prudence ne facilite pas les recherches relatives à sa carrière. En effet, en poursuivant nos investigations, nous avons néanmoins trouvé deux nouvelles informations qui précisent son parcours. 1) La première est dans la Notice abrégée sur la Sainte tunique de N. S. Jésus Christ par M. L. – F. Guérin (Paris, 1864) ; nous y lisons à la p. 61 une note où l’auteur rend hommage à « un savant modeste, bibliothécaire au Louvre, M. Emile Dunaime, mort il y a quelques années », qui s’était impliqué sur le sujet (c’est nous qui soulignons). 2) La seconde est la découverte de plusieurs notices érudites relatives à l’Antiquité signées « Emile Dunaime » dans le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, Paris, 1836 (t. XXIX, article « Fulgurites ») ; Paris, 1845 (t. IX, article « Fescennius (vers) », entre autres. Les « vers fescennins ou saturnins » sont effectivement évoqués à la fin du chap. 14 de son Discours préliminaire (« De la langue latine… »).
Joseph Dunaime, prénom avancé « prioritairement » par lui-même sur la page de titre de son manuscrit resté inédit, semble avoir une santé fragile puisque, à la fin de sa préface, il remercie Dieu de lui avoir permis de finir son travail en rétablissant sa santé. C’est cette santé fragile qui l’a peut-être fait quitter l’enseignement qu’il a assuré au collège de Saint Barbe pour devenir « bibliothécaire au Louvre ». Il n’en a pas moins pour autant continué ses recherches philologiques et collaboré à la rédaction de notices spécialisées dans un dictionnaire où il apparaît dans la liste des auteurs contributeurs.
Mais sa santé et le destin ne lui ont pas permis d’aller au bout de son projet d’édition mené parallèlement à sa carrière de bibliothécaire. Au bas de la dernière page de la préface, une ligne distincte, interrompue, du même auteur mais d’une encre plus foncée, apparaît : « Après avoir acquitté cette dette, il nous reste encore un devoir à remplir, c’est de… ». Nous ne connaîtrons pas quel était ce dernier devoir car Joseph Dunaime est peut-être mort à cet instant même.
Joseph Dunaime, au début de la préface de son recueil de poésies publié en 1841, déclare lui-même qu’il est un « jeune homme ». En admettant qu’il ait eu près de 25 ans à cette date, il a environ 45 ans en 1860, date présumée de son décès si l’on suit la note citée supra on l’on dit qu’il est mort « il y a quelques années », en 1864… Ce décès prématuré pourrait bien expliquer l’absence de publication de son travail poursuivi hors d’un cadre académique proprement dit, hors de l’université, institution qu’il n’évoque d’ailleurs jamais. Les recherches que nous avons lancées en direction du Louvre n’ont pas abouti à ce jour. A défaut d’avoir un plan plus précis de sa carrière, il nous semble que notre hypothèse, dans l’état actuel de nos connaissances, est plausible. Quoi qu’il en soit, nous pensons que cet imposant manuscrit est au minimum le fruit de nombreuses années de travail sinon celui de toute sa vie.
C’est pourquoi nous avons entrepris la transcription et la publication de la Préface et de ce Discours préliminaire (161 pages). Nous y avons joint en Annexe la Synglosse chinoise qui totalise 27 pages. Nous espérons montrer ainsi l’intérêt de l’ensemble de ce manuscrit inédit aux chercheurs spécialisés. Dans cette perspective, il serait beau et bon que ce manuscrit puisse être numérisé, non seulement pour sa sauvegarde mais aussi pour en faciliter plus largement l’accès avant qu’il ne soit déposé dans une bibliothèque.
La composition du manuscrit est la suivante :
Recherches étymologiques ou Essai sur l’origine de la langue grecque et de la langue latine comparées avec les idiomes de l’ancien monde. Par Th. Em. Joseph Dunaime. 1ère partie.
T. 1
Παρεθέμην δέ αύτών ολίγα είςσύστασιν τής παρά βαρβάροις εδρετικής καί βιωφελοΟς φύσεως. παρ’ ών « Ελληνες τά επιτηδεύματα ώφέληνται. Et δέ τις τήν φωνήν διαδάλλει τήν βάρβαρον, « έμοί δέ », φησίν δ Άνάχαρσις, πάυτες « Ελληνες οκυθίζουσιν ».
Clément d’Alexandrie, Stromates I, chap. 16, 77, 2-4.
[« J'ai cité quelques faits de leurs recueils pour établir l’aptitude des Barbares aux inventions utiles à la vie et l'aide que les Grecs en ont reçue dans toutes leurs activités. Critiquera-t-on la langue barbare ? « Pour moi, dit Anacharsis, ce sont tous les Grecs qui baragouinent ». Clément d’Alexandrie. Trad. Marcel Caster, Paris, 1951].
Préface [11 p.]
Discours préliminaire ou Introduction [150 p.]
Recherches étymologiques. Centamen etymologicum quo praecipuarum linguae graecae radicum investigatur origo.
Praefatiuncula. Notarum compendiaria tabula. Alphabetum devanagaricum. Arabopersicum. Hebraeo chaldaïcum.
Notarum compendiaria tabula. Etymologicon graecum. [248 p.]
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Recherches étymologiques ou Essai sur l’origine de la langue grecque et de la langue latine comparées avec les idiomes du monde ancien. Par Th. Em. Joseph Dunaime. IIe partie.
Tome II
Eymologicon de la langue latine. Avertissement.
Etymologicon latin. [221p.]
Esquisses d’onomatogénie ou Essai étymologique sur les noms propres. [178 p.]
Notes
Note A
Synglosse chinoise [27 p. Synglose : étude comparative des langues]
Note B
La langue française ayant emprunté un assez grand nombre de racines aux langues orientales, nous croyons être agréable aux curieux en leur offrant ici un tableau d’étymologie primitives toutes inconnues et qui paraissent pour la première fois (1). [En note :] (1) Ce tableau a été rédigé en 1841. [21 p.]
Note C
Beaucoup d’érudits, imbus des principes de Court de Gebelin, de Debrosses et de Condillac, ne voient dans les radicaux des langues que de simples onomatopées… [7 p.]
[Table de placement de notes sur feuillets ajoutés introduits dans le texte, 4 p. volantes.]
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On peut résumer ainsi la Préface :
Devant les imperfections bien compréhensibles de ses prédécesseurs des siècles passés, l’auteur veut « publier un ouvrage au niveau de la science actuelle » car, selon lui, ils n’ont pas su élargir leurs remarques, découvertes et hypothèses, au-delà du grec et de l’hébreu comme on commence à le faire à son époque en étudiant les rapports du grec et du latin avec les autres langues connues.
Au lieu « d’adopter dans le classement des radicaux un ordre rigoureusement analytique », il préfère « suivre l’ordre alphabétique », d’une lecture plus facile pour les non spécialistes.
« Quant aux mots que nous avons placés après chaque racine génératrice, on doit ne les considérer que comme une synglose ou, s’il est permis de s’exprimer ainsi, comme une série généalogique de termes unis par une étroite parenté. Tous ces mots sont indiqués avec une scrupuleuse exactitude ; chacun peut les vérifier dans les meilleurs vocabulaires des langues auxquelles ils appartiennent. Dans cette synglose les philologues remarqueront peut-être avec plaisir les rapports que nous avons signalés le premier entre l’arabe, l’hébreu, l’arménien, le copte, le mandjhou, le basque, le chinois, le sanscrit et le chadéen, idiomes dont les trois derniers nous paraissent constituer les plus anciennes langues de l’Asie ».
Il ne veut pas participer à d’anciennes polémiques inutiles mais simplement présenter des résultats qu’il estime « entièrement nouveaux » car personne ne les avait donnés avant [lui] ». Il veut en outre apporter une certaine nouveauté à son ouvrage en y ajoutant les étymologies de noms propres relatifs à l’histoire et à la géographie anciennes. Il translittère les mots des langues étrangères quand c’est nécessaire « afin de simplifier l’exécution typographique de [son] ouvrage », ce qui prouve que l’auteur avait bien la volonté de publier son manuscrit. S’il n’a pas toujours cité d’une façon précise les ouvrages où il « [a] puisé quelquefois », c’est parce que les deux tiers de son travail « [lui] appartiennent entièrement ».
En conclusion, il remercie « l’être suprême » qui, « en rétablissant [sa] santé », lui a permis de terminer son travail. A ce stade, à la lecture de cette préface, il est certain que le manuscrit est prêt pour l’édition. Le Discours préliminaire qui suit, puis la disposition des différents chapitres de ce recueil factice bien relié le prouvent. Mais, comme nous l’avons dit plus haut, le sort en a décidé autrement.
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Cet érudit connaît toutes les langues européennes anciennes et modernes, les langues sémitiques, le sanskrit, le chinois. Polyglotte, il semble par ailleurs avoir tout vu, tout lu, tout su.
A la lumière des témoignages des historiens de l’Antiquité et des récits mythologiques auxquels il accorde certainement une trop grande confiance même s’il veut porter sur ces deux « sources » un regard critique, à la lumière des connaissances de l’archéologie et des découvertes de la philologie, l’auteur essaie de reconstituer, de manière vivante, les grands mouvements de peuples issus de l’Europe orientale, aux confins de l’Asie, en direction de l’Europe occidentale, jusqu’en Espagne, sans pour autant oublier les apports directs ou indirects du Moyen Orient. Sur plusieurs millénaires, ces peuples encore mal connus, porteurs chacun d’une langue et d’une culture, vont se fixer sur des contrées inhabitées ou entrer en contact avec les peuples autochtones, vont s’imposer, cohabiter ou se fondre entre eux pour progressivement être à l’origine de la civilisation européenne et notamment, pour une part, être « à l’origine » des langues grecque et latine.
Dans cette perspective, Joseph Dunaime développe un discours historique et transdisciplinaire où il manifeste une volonté encyclopédique de nommer tous les auteurs qui de près ou de loin ont un rapport avec l’histoire du grec et du latin : écrivains, lettrés, érudits, antiquaires, numismates ; théologiens, philosophes, naturalistes, géographes, historiens, mathématiciens, explorateurs, archéologues, ethnologues, astronomes, musiciens ; enfin grammairiens, linguistes et philologues proprement dits. L’index de ces personnes ne compte pas moins de 427 noms, d’Alypius d’Alexandrie (IVe s.) à Franz Bopp et à Eugène Burnouf ses contemporains, pour ne citer qu’eux. En dépit des hypothèses, des notions erronées ou dépassées aujourd’hui, mais propres à son époque, cette transdisciplinarité est certainement pionnière au milieu du XIXe siècle. (Voir l’Introduction de Bernard Sergent à son ouvrage Les Indo-Européens, Histoire, langues, Mythes, Payot, 1996).
Ne serait-ce que du point de vue de l’histoire de la philologie, le travail de l’auteur nous paraît digne d’attention en ce qu’il donne une idée de l’étendue des capacités, des sources et des connaissances d’un chercheur au milieu du XIXe siècle. En admettant qu’il n’ait pas pu lire les « œuvres complètes » de toutes les personnes citées, et qu’il a su prendre connaissance de certains auteurs par des tiers pour en tirer lui-même ensuite son profit, il n’a pas pu au moins ne pas consulter avec discernement le plus grand nombre de ces travaux par lui enregistrés.
Quelles que soient les références auxquelles il se rapporte pour étayer ses propres recherches, il estime néanmoins que son travail relatif à l’étymologie est original pour les deux tiers. Sans pour autant mettre en doute sa sincérité, il serait intéressant que des spécialistes, chacun dans leur domaine, et dans le contexte de l’époque, puissent étudier et évaluer cette affirmation. Malgré les approximations et les erreurs qui pourraient être relevées, peut-être ce travail était-il pionnier aussi à son époque et certains de ses résultats toujours dignes de considération aujourd’hui.
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Principes de l’édition :
Nous avons respecté l’orthographe de l’auteur.
Ce Discours préliminaire, très dense, est pour ainsi dire écrit tout d’une traite, avec de nombreuses notes souvent longues, occupant parfois plus de la moitié de la page. Il nous a semblé important d’introduire dans le texte, entre crochets, les titres des seize parties (« chapitres ») qui le composent. Ils permettront une meilleure appréhension du texte dans son ensemble et faciliteront les retours du lecteur sur un point précis.
Les références de l’auteur sont la plupart du temps succinctes, très abrégées, parfois citées de mémoire. Nous avons donc décidé, pour en faciliter la lecture, d’intervenir sur les notes, autant qu’il était possible, en complétant souvent les titres des ouvrages, en citant les lieux d’édition ainsi que les dates. Tout ce qui apparaît entre crochets relève de notre intervention.
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Table des matières
Préface
Discours préliminaire ou Introduction
I – De l’importance et de l’intérêt de la science étymologique. II – A-t-il existé une langue unique primitive ? La découverte du sanskrit. III – Ethnographie et origine des peuples. IV – Des peuples grecs. Des Pélasges. V – Influence de l’Inde et de sa mythologie. VI – Influence de l’Inde sur les arts et les sciences. VII – Des Pélasges et des Scythes. VIII – Des Celtes. Sarmates, Ibères, Gaulois, Germains… IX - Des Hellènes. Doriens, Eoliens, Ioniens, Achéens. X – Langue et écriture dans la Grèce primitive. Exemples d’inscriptions. XI – Des peuples d’Italie. Aborigènes, Pélasges, Illyriens… XII – Des Etrusques. Leur langue. Exemples d’inscriptions. XIII – Influence des Hellènes. Fondation de Rome. XIV – De la langue latine, idiome primitif des peuples du Latium. Exemples d’inscriptions. XV – Influence de la langue grecque. Son enseignement d’abord puis celui de la langue latine. Apogée et décadence. XVI – Conclusion. p. 100
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INDEX NOMINUM *** ANNEXE : Synglosse chinoise
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